« SIVA » Philip K. Dick entre folie métaphysique et autobiographie

Évoquer l’œuvre de Philip K. Dick autant que l’homme est toujours chose délicate tant les deux se confondent. Difficile de discerner le vécu de l’inventé, le vrai du faux, le réel de l’illusoire, l’auteur prenant un soin particulier à mêler constamment les uns et les autres. Confusion mentale, émotionnelle, volonté de partager celle-ci et donc désir d’immerger le lecteur dans la même incertitude que les protagonistes ? Tout à la fois ? C’est dans SIVA que ces interrogations vont se cristalliser le plus,  livre qu’il est difficile de caractériser, à la fois fiction totale et roman le plus autobiographique de l’auteur.

Premier tome d’une « Trilogie Divine », comprenant l’Invasion Divine, La Transmigration de Timothy Archer (dernier ouvrage publié du vivant de l’auteur), voire Radio Libre Albemuth (roman-jumeau inachevé publié post-mortem mais écrit avant les autres), SIVA ouvre, en outre, une nouvelle et dernière phase de l’œuvre de Philip K. Dick : celle d’une SF mystique, ésotérique, traversée d’obsessions théologiques et philosophiques.

 

« La réalité, c’est ce qui refuse de disparaître quand on cesse d’y croire. »

S’il faut chercher les origines de SIVA, elles se trouvent dans l’expérience mystique vécue par l’auteur en 1974. C’est du moins ainsi qu’il la décrit, alors que certains analystes (notamment Lawrence Sutin dans son excellente biographie de l’auteur, Invasions Divines) y voient plutôt la résultante d’un accident vasculaire cérébral (comment en pas y voir, une fois encore, une sorte d’affrontement à distance entre le réel du biographe et le fictionnel de l’écrivain ?).

Dick pense avoir été frappé d’un rayon rose dont il est persuadé qu’il s’agit d’un message en provenance d’une créature extra-terrestre quasi-divine. Élucubration d’un homme accablé par la dépression, la misère, la confusion mentale conséquente à l’abus de médicaments ?
Quelle que soit la vérité, cet événement est un déclencheur majeur puisque, outre le fait qu’il amène l’écriture de SIVA, il pousse l’auteur à la création de son Exégèse, sorte de synthèse métaphysique et philosophique de sa vie et son œuvre qui occupera les dernières années de son existence.

 

« Horselover Fat, c’est moi, et j’écris tout ceci à la troisième personne… »

SIVA met en scène l’auteur deux fois. D’abord, sous sa propre identité, comme témoin distant des événements, contre-champ de Horselover Fat (traduction littérale de Philip Dick en grec et allemand), double subissant et agissant, récipiendaire du message — sous forme de ce rayon rose — de l’entité aux qualités divines SIVA (Système Intelligent Vivant Agissant), satellite extra-terrestre originaire de Sirius.
Le Phil Dick personnage devient ainsi l’observateur de la lente et inexorable déliquescence de Fat (incarnation en perdition du Dick réel ?).
On réalise dès lors que Phil est une ancre accrochée à la réalité alors que Fat est le pendant irrationnel de ce Janus littéraire, celui qui, lentement mais sûrement, va glisser dans la folie messianique jusqu’à l’effacement au profit de la raison personnifiée par Phil Dick.

Cette fascination de la dualité, loin d’être récente, obsède l’auteur depuis sa plus tendre enfance à la suite de la disparition de sa jumelle Jane, et traverse l’ensemble de son œuvre, fondant probablement l’angoisse paraphrénique qui l’habite de bout en bout.

 

« Tout ce je dis est un mensonge. Donc je mens en prétendant mentir. Donc rien de ce que je dis n’est mensonge. Donc je dis bien la vérité en affirmant que je mens. »

SIVA n’est pas de ces livres qui se donnent au lecteur facilement. D’ailleurs, rien n’est facile à la lecture du roman, tant on est troublé et dérangé par la confusion — voulue ou non — qui imprègne l’histoire, à travers le double personnage de Fat et de Phil, l’incertitude quant à la nature même de SIVA.

La volonté de l’auteur est, me semble-t-il, de faire partager au lecteur la folie qui habite Fat, de la confronter à la froide rationalité de Phil en cet incessant aller-retour destiné à mieux le bousculer, le faire douter, le troubler jusqu’à l’incompréhension parfois, mais au final — comme toujours chez Dick— de susciter aussi cette empathie, nécessaire composante de notre humanité, si chère à l’auteur.

 

Eric Delzard

Philip K. Dick, SIVA, Gallimard, « Folio SF », juin 2018, 350 pages, 8,30 euros

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