ZAD une histoire de violence : l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes par Anaïs Denet
Anaïs Denet est journaliste, correspondante de RMC et BFMTV pour le Grand Ouest. À ce titre elle a couvert l’évacuation de la ZAD de Notre-Dame des Landes qui a duré du 9 avril au 22 mai 2018. Rapport des forces : 2500 gendarmes, des blindés et pelleteuses contre quelques centaines d’irréductibles écologistes. Bilan : 11 000 grenades lancées dont 8 000 lacrymogènes et 3 000 assourdissantes ; 108 blessés côté gendarmes, 330 côté zadistes. Pour ce livre elle a interviewé divers protagonistes : des fermiers, des zadistes, des gendarmes, une préfète.
Un peu d’histoire
Peut-être faut-il commencer par un bref rappel des faits. Dans les années 2000, le projet de création d’un aéroport international est relancé. À l’appel des paysans de la région, des militants occupèrent l’endroit à partir de 2010, ils rebaptisent alors cette « Zone d’aménagement différé » : Zone à défendre. À lire le livre on comprendra combien la solidarité dans le combat stimule l’humour, la gaieté et la créativité ! En octobre 2012, sous le gouvernement Hollande, 1500 policiers et militaires avaient lancé l’opération César. Objectif : expulser la ZAD. Les cabanes et la plupart des fermes squattées furent détruites, mais aussitôt reconstruites par les militants… Un mois plus tard, le 17 novembre, une grande manifestation de réoccupation des lieux rassemblait 40 000 personnes. En avril 2013, de guerre lasse, les forces de l’ordre quittèrent les lieux… Voilà un affront qu’elles n’oublieront pas !
Le 17 janvier 2018, le premier ministre Édouard Philippe annonce l’abandon du projet d’aéroport : deuxième défaite ! Mais il ordonne l’expulsion de tous les habitants de la ZAD et la destruction des constructions. La guerre est déclarée : les hommes qui se prennent pour l’État le temps d’une élection ont une revanche à prendre ! Une femme, Nicole Klein, la préfète de Nantes, tente un compromis : les zadistes qui demanderont leur régularisation en se déclarant exploitants agricoles seront épargnés. Mais individuellement, alors que les zadistes prônent l’autonomie autogestionnaire, donc collective. Nicole Klein doit donc naviguer courageusement entre les représentants de l’État qui n’apprécient guère cet arrangement et les zadistes qui le refusent.
Le 20 avril, alors que la disparition de la ZAD se profile, des zadistes acceptent de déposer leur dossier d’exploitant agricole. L’un d’eux déclare : « Nous avons fait ce pas pour sauver ce qui existe dans la ZAD ». Si la préfète a réussi à les sauver, elle a même temps suscité une fracture dans les rangs des zadistes : une fraction d’entre eux accuse les autres de faire le travail de la préfecture et de la police. Le 17 mai les opérations reprennent, les derniers opposants sont circonvenus…
Les tribulations d’une journaliste
Pendant ce mois et demi, Anaïs Denet a couru les champs et les bois la caméra à la main, les pieds dans la boue elle a respiré divers gaz, frôlé les jets de grenade, harcelée par sa direction qui voulait des images, des images ! « J’ai besoin de comprendre de trouver un sens à ce que je viens de vivre, dit-elle. Le blindé en feu, Les plaies ensanglantées. Les pelleteuses qui détruisent tout. Et j’ai bien du mal ». D’où, sans doute, la nécessité pour elle d’échanger avec les divers protagonistes qu’elle a ensuite rencontrés, et d’écrire ce livre au rythme haletant. Comme tout récit de combat, il fait monter le taux d’adrénaline du lecteur ! En bonne journaliste elle décrit les divers protagonistes sans prendre parti, et même en manifestant une certaine empathie pour chacun d’eux, aussi bien envers le général Lizurey qui commande l’opération qu’envers Jean-Marie le zadiste naturaliste, mais elle doute… « Nos dirigeants ne sont-ils pas ridicules ? À envoyer toutes ces forces armées pour détruire trente-neuf cabanes sur quatre-vingt-dix-sept ? »
Des résurgences anarchiques
Que reste-t-il de ce succès militaire ? Aujourd’hui, on recense dans la zone deux cents personnes poursuivant leur vie sur un mode libertaire et anticapitaliste. Comme toujours, la ZAD commença sur un mode que les anarchistes ont tenté de théoriser. On pourrait dire : comme la grève générale de 1936, les soviets, la CNT espagnole, les conseils ouvriers et l’autogestion de mai 68. Comme si, à chaque fois, on assistait à la résurgence de ce que Georges Orwell appelait la common decency, la décence commune, qui voudrait que la conquête de l’autonomie fasse partie d’un idéal de base spontanément partagé. Comme si toute révolte commençait par la mise en pratique de cet idéal avant d’être défigurée. On note quelques exceptions : l’entreprise Godin, une coopérative d’inspiration fouriériste qui dura de 1883 à 1968, plus près de nous l’usine LIP qui survécut de 1976 à 1990. Et aujourd’hui la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
Mathias Lair
Anaïs Denet, ZAD une histoire de violence : l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes, Denoël, avril 2024, 336 pages, 20 euros