La chose en soi, Kant et le paradoxe de Fermi

Un auteur encore peu connu en France  

Auteur d’une vingtaine de romans, le britannique Adam Roberts a été peu traduit en France : citons Bingo le Posstit en 2007 et Gradisil en 2008, tous deux publiés par Bragelonne. La Chose en soi date quant à lui de 2015 et vient d’être traduit par les éditions Denoël. L’intrigue, on va le voir, convoque les ombres de Lovecraft, John Carpenter… et aussi Kant. D’avance, disons qu’Adam Roberts ne manque pas d’ambition !  

Au bord de la folie  

C’est avec la lettre que tout a commencé. Roy, lui, situerait sans doute le début de cette histoire au moment où il a résolu le paradoxe de Fermi, lorsqu’il a atteint (dixit) la lucidité. Un bien grand mot, si vous voulez mon avis : je lui préfère maladie. Maladie mentale. Sans doute lui-même en conviendrait-il, désormais. Vu le nombre de psychiatres qui se sont penchés sur son cas. 

Roy Curtius et Charles Gardner sont envoyés en 1986 en Antarctique dans le cadre d’un programme de programme de recherche de signaux extraterrestres. Leur cohabitation est difficile tant les deux hommes sont différents : Roy est taciturne, méfiant et Charles est extraverti. Charles reçoit des lettres de l’extérieur, est obsédé par sa petite amie et Roy est plongé dans la lecture de la critique de la raison pure. Ça commence à dégénérer quand Charles lui vend une lettre qu’il a reçue, lettre que Roy refuse de lui redonner ensuite. Ça s’aggrave lorsque Roy se dit persuadé de résoudre la possibilité d’une vie extraterrestre grâce à Kant. Et puis Roy assomme Charles et l’abandonne dans le froid. Avant de sombrer ce dernier voit quelque chose…  

Vingt-cinq ans plus tard, Charles est devenu éboueur après avoir quitté l’université. Défiguré, n’ayant plus que sept doigts, sa vie est un désastre. Il est contacté par l’institut, une mystérieuse organisation qui travaille sur le développement de l’IA et la recherche de la vie extraterrestre. Ils ont besoin de Charles pour prendre contact avec Roy qui, lui aussi, a vu quelque chose en Antarctique. Et Roy en a retiré des connaissances vitales selon eux…    

Un roman complexe, ambitieux et fascinant  

Touffu mais passionnant, La Chose en soi (dont le nom évoque directement un concept kantien) est en tout cas structurée de manière originale. Si le lecteur découvre l’histoire de Charles et Roy dans les chapitres impairs, sous forme de thriller ou presque, les chapitres pairs, eux, nous racontent… d’autres choses. On découvre ainsi l’histoire d’un couple d’homosexuels au début du XXe siècle, celle d’un jeune homme exploité sexuellement par son seigneur, etc. Au départ, toutes ces histoires ne semblent entretenir aucun rapport avec la principale, la fin explique tout.

Chapeau en tout cas à Adam Roberts qui réussit à marier la métaphysique kantienne, le voyage dans le temps, l’IA et le paradoxe de Fermi : quel souffle !      

Sylvain Bonnet  

Adam Roberts, La Chose en soi, traduit de l’anglais par Sébastien Guillot, Denoël, « Lunes d’encre », janvier 2021, 416 pages, 23 eur

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