André Tardieu l’incompris, l’impuissance de l’intelligence

Un historien habitué aux antichambres du pouvoir


Haut-fonctionnaire ayant travaillé dans les cabinets de Nicolas Sarkozy, Maxime Tandonnet a aussi publié des ouvrages historiques. On lui doit par exemple une Histoire des présidents de la République (Perrin, 2013) et surtout une Histoire des parias de la République où apparaissait déjà la figure d’André Tardieu dont il publie la biographie qui nous occupe à présent.

Ancien collaborateur de Clemenceau, trois fois président du conseil, André Tardieu le « Mirobolant » comme on l’appelait fut vilipendé, rejeté par la classe politique de l’époque et se réfugia dans la rédaction d’ouvrages jugés « réactionnaires ». On a dit de lui pourtant qu’il fut un des précurseurs du gaullisme constitutionnel et qu’il inspira Michel Debré. Qu’en est-il exactement ?

Un grand bourgeois patriote


Né dans une famille aisée, Tardieu grandit dans une société française marquée par la défaite de 1870. Il collectionne aux lycées les prix d’excellence, fait ses premières armes comme diplomate avant de bifurquer vers l’administration du ministère de l’intérieur, au grand dam de son père qui le voyait déjà ambassadeur. Parallèlement, Tardieu entame une carrière de journaliste d’abord au Figaro puis au Temps, se spécialisant dans l’analyse des relations internationales.

Brillant, mondain, coureur de jupons, Tardieu a tous les dons et s’engage finalement dans la politique : il est élu député en 1914. Quand éclate la guerre, il est affecté à l’état-major mais réclame d’aller servir sur le front. Courageux, Tardieu échappe de peu à la mort. Mais le gouvernement décide de l’envoyer aux Etats-Unis pour y organiser comme haut-commissaire l’approvisionnement des pays de l’Entente.

Le politique


Et, comme le note Maxime Tandonnet, il fait merveille une fois de plus. En 1917 débute son association avec Clemenceau dont il devient un des disciples. C’est Tardieu qui est en première ligne lors des négociations du traité de Versailles face aux anglo-saxons. Contre leur gré, lui et Clemenceau cèdent sur la rive gauche du Rhin, en échange de la garantie américaine, une illusion puisque le traité sera rejeté par le congrès. Tardieu admire profondément Clemenceau qu’il persuade de se présenter à la présidence de la République : les chambres préféreront Deschanel, sur qui se porte les voix de la gauche socialiste (qui en veut à Clemenceau d’avoir réprimé durement les grèves de 1906) et de la droite catholique (qui ne lui pardonne pas son anticléricalisme).

Il n’oubliera jamais cet échec, source selon son biographe de son hostilité au système de la IIIe République. Réélu en 1919, Tardieu se réfugie dans un splendide isolement, critiquant l’application du traité de Versailles par les successeurs de Clemenceau. En 1924, il est battu et quitte la vie politique…

Au pouvoir

Mais le « Mirobolant » rebondit! Il profite d’une élection partielle pour se faire élire à Belfort. Le cartel des gauches, élu en 1924, cède alors la place à un nouveau cabinet dirigé par Raymond Poincaré. Ce dernier nomme Tardieu ministre des travaux publics, au grand dam de Clemenceau qui ne le lui pardonnera jamais. Tardieu gagne la confiance du président du conseil dont il fait figure de dauphin. En 1929, Poincaré, malade, se retire. Après un court ministère Briand, c’est le tour de Tardieu et d’une nouvelle génération :


La nomination du Mirobolant à la tête du gouvernement symbolise la montée en puissance, à tous les niveaux de responsabilité, de la génération des anciens combattants. »

A gauche, on fait grise mine. Anti-communiste, grand bourgeois, Tardieu est l’ennemi de classe idéal. Conscient de la nécessité de moderniser le pays, très préoccupé par la crise financière qui vient d’Amérique, Tardieu veut lancer un grand plan d’outillage national. Loin d’être une relance keynésienne, ce plan échoue à être mis en place : Tardieu prend conscience des blocages du système. Pire, il est jalousé par d’autres comme Pierre Laval ou Pierre-Etienne Flandin. Trois fois président du conseil, Tardieu échoue à faire évoluer le système. Battu en 1932 par la gauche, il revient au pouvoir auprès de Gaston Doumergue en février 1934 pour lancer la réforme de l’Etat. Encore un échec.

Dès lors Tardieu quitte la politique et Paris, s’exile à Menton et publie des ouvrages aux titres éloquents : Le Souverain captif, La Révolution à refaire. Editorialiste à Gringoire, il se démarque nettement par son opposition précoce à Hitler et au nazisme, rejetant les accords de Munich.

Quel bilan ?


Frappé par des attaques cérébrales en 1939, Tardieu ne jouera plus de rôle politique et ne sera pas le recours que certains espéraient. Pourtant, il fut assurément l’un des deux seuls hommes politiques d’envergure de l’entre-deux guerres (l’autre étant Léon Blum) mais n’a pas laissé de leg politique direct. Ses ouvrages, intéressants pour l’historien, montrent un homme devenu très critique du système parlementaire, influencé par Hyppolite Taine.

François Monnet, auteur d’un ouvrage sur Tardieu paru chez Fayard en 1993, qualifiait son itinéraire de « dérive réactionnaire ». Pourtant, on est loin chez lui de toute dérive vers le fascisme. Tardieu reste un libéral, conservateur, républicain. Pas un factieux. Il veut refonder la République, renforcer l’exécutif. Mais avec quelles troupes ?

En tout cas, il s’est privé, en s’isolant, de toute possibilité de retour, sauf crise majeure : sondé par l’entourage de Blum, il refuse en 1938 de se prêter à un gouvernement d’union nationale. Qu’espérait-il ? Son expérience a sans nul doute pu influencer de Gaulle. Reste que se cantonner à être Cassandre l’a empêché de devenir Solon (ou de Gaulle). Cette bonne biographie est une bonne occasion de revenir sur le parcours d’un homme oublié et qui joua un rôle majeur dans notre histoire.

Sylvain Bonnet


Maxime Tandonnet, André Tardieu l’incompris, Perrin, janvier 2019, 352 pages, 23,50 eur

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