La survie des civilisations : après 1177 av. J.-C., la résilience de l’humanité
En 2015, l’ouvrage de l’historien et archéologue Eric H. Cline, 1117, Le jour où la civilisation s’est effondrée a marqué les esprits. Il faisait écho à une crainte aujourd’hui grandissante dans un monde de mutations multiples et rapides.
Le chercheur y montrait que, dans le bassin méditerranéen, une conjonction de causes, principalement climatiques, écologiques et sanitaires, avait conduit à un effondrement généralisé à l’âge du bronze. D’une manière générale, ces recherches s’inscrivent dans une mise à jour d’explications historiques désormais obsolètes mais encore divulguées dans l’enseignement de l’histoire de l’antiquité au XXe siècle, à commencer par une soi-disant invasion dorienne qu’aurait eu à subir la Grèce continentale.
Après la catastrophe
Avec son nouvel ouvrage, La survie des civilisations, on est au jour d’après, avec une dose de suspense mais sans dramaturgie spectaculaire. En effet, l’auteur, procédant avec rigueur et prudence, ne joue pas avec les fantasmes, comme celui des « siècles obscurs » ou d’une résurrection miraculeuse.
« De nouvelles études archéologiques sont susceptibles de modifier nos vues sur l’évolution de certaines de ces sociétés, mais, pour l’instant, les catégorisations présentées ici reflètent ce que je suis enclin à penser après avoir examiné les preuves disponibles. »
Méthodiquement il examine la situation de chaque cité ou civilisation au lendemain de ces bouleversements – les prestigieuses Égypte, Assyrie, Babylonie, Tyr ou Byblos- mais donne vie également à des États inconnus ou moins connus du grand public tels Karkemish, Palistin, Urartu.
Tel a entendu parler d’Assurnasirpal, de Salmanazar, d’une lignée allant de Nabuchodonosor à plusieurs Marduk, qui ignorait l’existence des Suppiluliuma de Palistin (le nom antique, on l’aura deviné, de Palestine) !
Le charme d’un passé enfoui
Car ce livre scientifique n’est pas dénué de poésie, celle des noms et des évocations. Mais au-delà des sonorités exotiques, c’est en recoupant des inscriptions, soit des souverains eux-mêmes, soit de leurs ennemis que les généalogies peuvent se constituer et l’histoire, s’écrire.
Ainsi le lecteur, par la qualité et la clarté de la démarche, assiste à la recherche en train de se frayer un chemin à travers ces pistes diverses que sont les nouvelles découvertes archéologiques, le décryptage d’inscriptions, les apports des analyses scientifiques. Rendant toujours hommage à ses prédécesseurs, évoquant les thèses adverses, l’auteur énonce clairement et humblement ses hypothèses et interprétations.
« Nous sommes comme des experts de la police scientifique s’efforçant de reconstituer toute une scène de crime commis il y a bien longtemps, trop longtemps. »
Moins poétiques mais très synthétiques, des conclusions partielles, puis un dernier chapitre de synthèse, présentent une classification de chacune des sociétés présentées selon des critères inspirés par les rapports du GIEC de 2012. Des phénomènes analogues peuvent alors être observés entre les époques protohistoriques, historiques et contemporaines, comme les suites de l’ouragan Katrina à La Nouvelle Orléans.
« Il existe dans la littérature sur la résilience un nom officiel pour ce phénomènes d’essor et de chute, celui de cycle « adaptatif ». Représenté sous la forme d’un huit couché, ce cycle se subdivise en quatre phases. »
Le lecteur pourra s’étonner, du recours à une terminologie classificatoire, parfois empruntée au domaine de la psychologie, de prime abord discutable et un brin simplificatrice : « anti-fragilité », capacité à « faire face », résilience, vulnérabilité etc. Mais l’auteur lui-même reconnaît la difficulté et les limites de cette catégorisation. D’autre part cette schématisation ainsi que les cartes, chronologies et tableaux facilitent le suivi du propos.
Des leçons pour l’avenir ?
En définitive le livre se clôt sur nombre de questions non seulement sur les faits que permettront d’éclairer la recherche future, mais aussi, plus fondamentalement, sur les impondérables qui ont permis à certaines sociétés de se renouveler, comme les Phéniciens ou les Assyriens, ou qui en ont conduit d’autres à disparaître, comme les Hittites, pour prendre des cas extrêmes. Il ne s’agit pas simplement de phénomènes d’équilibres géopolitiques entre différents Etats ou empires ; parfois la capacité à perdurer peut venir de la population rurale comme ce fut sans doute le cas en Grèce continentale. Il est probable également que des causes externes, attaques, changements climatiques, aient achevé un processus d’épuisement politique interne, comme chez les Hittites.
« Malgré d’importantes fluctuations climatiques et des agressions venues de l’extérieur, les Assyriens sont parvenus à traverser les siècles en conservant les structures et des normes sociétales pratiquement inchangées »
La conjonction de causes structurelles, géographiques, économiques, culturelles et humaines peuvent alors être invoquées sans exclure les notions de hasard ou de chance.
Cet ouvrage fait état d’un travail de recherche sur un passé lointain, résolument tourné vers l’avenir, pour comprendre, en l’occurrence, comment nous pourrions nous-mêmes faire face aux catastrophes, qu’elles soient locales ou mondialisées, voire les prévenir.
Pour ceux, plus pessimistes, qui se contenteraient de l’évolution des connaissances, cet ouvrage non définitif, présente un parfait exemple de ce qu’est l’histoire en train de s’écrire, c’est-à-dire, vivante.
Florence Ouvrard
Eric H. Cline, La survie des civilisations : après 1177 av. J.-C, traduit de l’anglais par Marc Saint-Upéry, La Découverte, août 2024, 368 pages, 24 euros