De rockstar à tueur, le cas Cantat
Disponible sur Netflix depuis le 27 mars 2025, cette série-documentaire a été réalisée par Anne-Sophie Jahn (déjà auteure d’un ouvrage sur le sujet, Désir noir, paru chez Flammarion en 2023), Zoé de Bussierre, Karine Dufour et Nicolas Lartigue. Autour de trois épisodes de 40 minutes, Anne-Sophie Jahn, journaliste du « Point » revient sur une affaire qui a très longtemps refusé de porter son vrai nom : un féminicide.
Les faits : un témoignage accablant

Dans la nuit du 26 au 27 juillet 2003, à Vilnius, en Lituanie, Marie Trintignant, célèbre comédienne française (citons Une affaire de femmes et Betty de Chabrol et Comme elle respire de Salvadori), est rouée de coups par son compagnon, Bertrand Cantat, chanteur du groupe Noir Désir. Rapatriée en France, après un long coma, elle meurt le 1er août des suites de ses blessures. L’affaire est rapidement portée au grand public. C’est la stupeur.
Interrogé en Lituanie, dès les premières heures qui suivent cette nuit fatale de juillet, Bertrand Cantat parle d’abord d’un accident, d’une bagarre qui aurait mal tourné. Marie Trintignant aurait porté les coups la première. Bertrand Cantat lui aurait donné la réplique et elle se serait cogné la tête contre le radiateur. Il n’hésite pas à faire valoir, dans un moment aussi dramatique, le fait que c’est elle qui a provoqué la bagarre.
Si la thèse de l’accident réussit à convaincre dans un premier temps, le décès de Marie et son autopsie révèleront très vite une vérité beaucoup plus sombre. Marie a reçu 19 coups, témoins de l’extrême violence dont elle a été victime. Les images inédites des auditions vont mettre en lumière l’absurdité et l’horreur d’une réalité cachée par le voile désespérant de la passion.
On voit Cantat déconstruire lui-même son témoignage. On apprend qu’après l’avoir rouée de coups, il l’a mise au lit, inconsciente. Il attendra des heures avant de prévenir les secours, laissant une hémorragie interne l’emporter, irrémédiablement.
La mort de Krisztina Rády : un suicide passé inaperçu
Lors du procès, l’ex-femme de Cantat, Krisztina Rády, mère de ses deux enfants, témoigne en sa faveur. Elle assure qu’il n’a jamais été violent avec elle. Condamné à 8 ans de prison, une peine plutôt légère pour avoir pris la vie d’une femme, Bertrand Cantat n’en fait que 4 en réalité.
À sa sortie, il retourne vivre chez son ex-femme. Ils décident de se remettre ensemble en tant que couple libre. Les choses commencent à dérailler lorsque Krisztina rencontre quelqu’un avec qui les choses deviennent sérieuses. En 2010, Krisztina Rády se suicide sous le toit familial, pendant que dans la même maison, Bertrand Cantat dort. C’est leur fils qui retrouve sa mère morte, pendue. L’enquête met Cantat hors de cause. L’affaire ne fait pas grand bruit. Les journaux qui relaient l’information parlent d’un mauvais coup du sort, d’un destin qui s’acharne, le mettant à distance de l’événement comme s’il n’y était pour rien. Le silence demeure.
Krisztina Rady est le moteur de l’enquête menée par Anne-Sophie Jahn. Et ce qu’elle découvre est « encore pire que ce qu’elle imaginait ». Les proches de Cantat qui ont connu le couple se taisent. On oscille entre déni et intérêts financiers. L’affaire est étouffée. Et pourtant, elle témoigne autant des antécédents que de la récidive.
« Le crime passionnel » : un féminicide qui porte un trop joli nom
Les preuves contre Bertrand Cantat sont accablantes. Sa culpabilité n’est pas à remettre en question. En revanche, c’est l’interprétation qu’on en a fait et qu’on continue à en faire qui est le sujet de fond du documentaire.
Les interrogatoires de Vilnius parlent d’eux-mêmes, puisqu’ils nous laissent entendre la voix de l’accusé qui s’exprime comme un enfant qui a l’air d’avoir fait une grosse bêtise. Il trouve le moyen, dans un contexte aussi glauque, d’avoir de la peine pour lui-même. Il s’autorise même à faire de l’humour : « Excusez-moi, la prochaine fois, je ferai plus attention aux détails. » Il change sa version des faits sans même tenter de dissimuler qu’il se trouve des excuses. Hélas, c’est ce que fait la presse par la suite, en le faisant passer pour une victime, un être dépassé par ses émotions. Les médias enrobent l’affaire d’un joli ruban pourpre nommé « le crime passionnel ». C’est rock n’roll tout ça finalement ! Son meurtre passe presque pour de l’amour.
Le documentaire s’attache à remettre les bons mots à la bonne place. Non, l’amour ne tue pas. L’amour n’est pas un rapport de force. Parler de crime passionnel, c’est donner à un homme le droit de recommencer. C’est faire passer le message qu’un homme qui se comporte comme ça n’est pas responsable de ses actes, qu’il en est une victime. C’est banaliser la violence et la rendre presque belle. Dans cette mystification de l’amour torturé, les rôles sont inversés et on oublie qu’une…plutôt deux femmes sont mortes.
De nos jours, à l’heure où les consciences s’éveillent sur les violences conjugales, peut-on encore associer ces deux mots sans avoir honte ? Le crime et la passion ? Ce non-sens absolu, Lio le criait sur le plateau d’Ardisson à l’époque. Applaudie timidement, elle est restée bien seule avec ses convictions, passant presque pour une folle.
Malgré le silence qui entoure et protège encore Bertrand Cantat, au nom d’une raison obscure qui voudrait qu’on sépare l’homme de l’artiste, qu’on sépare l’argent brassé par l’industrie du disque d’une vérité froide et vilaine, le documentaire rend à Cantat ce qui est à Cantat. C’est un tueur, un manipulateur et un récidiviste. Grâce à ce documentaire, très bien articulé, qui laisse la réalité des faits nous saisir, le silence devient enfin assourdissant et il se pourrait bien qu’on commence à entendre, dans le fond, l’écho tapageur d’un noir, très noir désir.
Elodie Da Silva
Documentaire en trois épisodes, disponible sur Netflix.
On lira pour compléter son effroi le très difficile et si bien informé Désir noir de Anne-Sophie Jahn (Flammarion, 2023).