Contre Hanouna, le réquisitoire de Juan Branco

Des industriels fortunés qui investissent dans la presse, y font passer pour de grandes artistes leurs maîtresses, qu’ils auront déplacées de leurs maisons closes à leurs théâtres, tout en faisant la morale et la politique du temps, voilà qui rappelle le XIXe siècle de Maupassant, celui de Bel ami notamment. Mais si rien n’est tout à fait nouveau, l’industrialisation du procédé de décervelage cher au Père Ubu se retrouve « idéalisé » dans la figure du pitre Cyril Hanouna, « tant une menace qu’une insignifiance », sur lequel Juan Branco tire à balles réelles dans un pamphlet intelligent et vivifiant.

La mise en place du néant

Damien Tarel est connu pour avoir giflé Emmanuel Macron. A l’occasion de son procès, il est invité sur le plateau de l’émission Touche pas à mon Poste. Il est accompagné par son avocat Juan Branco, qui va penser ce moment de purge médiatique et comprendre les enjeux autour de cette émission, et au-delà le cirque mis en place pour

Cyril Hanouna est le rouage, l’idiot utile diront certains, d’un système mis en place pour une seule finalité : gagner de l’argent. Toute commence avec la société du spectacle, Guy Debord dépassé par ses pires craintes, la télé-réalité. Le tour de force du producteur Stéphane Courbit est d’avoir installé cette idiotie, de l’avoir promu en événement, et d’avoir su instauré l’émission qui devait servir à transformer les personnages de ces émissions en personnalités publiques. Tout niveler à l’échelle du plus vulgaire, du plus bête, du plus insignifiant, et faire de ces « qualités » une norme pour regarder le réel. Et le juger. Car pour faire de l’audience, il faut juger, rabaisser les faits réels pour les faire entrer au tribunal médiatique dont les règles sont différentes : tel aura escroqué des milliards à l’Etat, si c’est un « bon client » des plateaux télé, alors invitons-le à outrance.

Il fallait un être avide et amoral pour personnifier une manière de Monsieur Loyal de ce grand cirque. Ce sera Cyril Hanouna. Et ses chroniqueurs, qui chacun jouent un rôle, pour défendre ou attaquer l’invité selon un scénario prédéfini. Dans l’émission concernée, le 20 septembre 2021, c’est une évidence : TPMP est là pour défendre l’Etat, servir, servile.

L’idiot utile

Hanouna n’est rien en soi. Ni mauvais homme, a priori, ni puissant. Un petit mafieux télévisuel qui brille pour des plus petits que lui du pouvoir qu’on lui octroie. Car si TPMP s’apparent à un théâtre de Guignol, par la forme et par le verbe, c’est surtout pour service une cause. Non pas qu’Hanouna se voit hissé à des hauteurs politiques lui permettant de peser sur le débat des idées, mais pour signaler que ledit débat s’est affaissé au point qu’un Hanouna puisse à présent y entrer. Il n’est rien, donc, sinon le symptôme d’un dérèglement majeur et d’un abrutissement voulu par quelques-uns de la masse globale considérée comme — voire uniquement — consommatrice.

TPMP, émission sensée d’abord regarder la télé-réalité, mais qui impose ses règles au réel pour en faire un spectacle lui-même, le rabougrir pour le dominer. Mais la parole d’Hanouna n’est pas performative, c’est au-dessus que cela se passe. Il est le moyen qui a été trouvé pour offrir au peuple un divertissement facile et gratifiant à la fois, en osant porter des coups en direct et en invitant des ministres et autres édiles. Mais il est aussi l’exutoire offert aux bourgeois qui peuvent le haïr, ce qu’il représente et qu’ils méprisent, à bon compte. Idiot utile d’une machination organisée pour faire le plus d’argent possible tout en s’octroyant les pouvoirs de penser à la place de (1), TPMP est l’écran de fumée qui cache la machination.

un réquisitoire

M. Hanouna, tel que nous l’avons décrit, est […] le bouffon du peuple, plutôt que du roi. […] M. Hanouna, dans le cadre de ses émissions, épure, simplifie, appauvrit le réel.

L’ouvrage de Juan Branco se termine par un réquisitoire, terrible, et ad hominem, contre les puissants qui organisent contre toute forme de moralité leur mainmise sur la pensée, et les fonds de l’Etat détournés à leur unique profit. La presse, l’édition, les agences de communication et de publicité, tout un petit microcosme quasi familial par les liens qui s’entretissent et qui a une seule victime : nous. « Que tous [Arnault, Lagardère, Bolloré, Niel, Courbit Aprikian, Sarkozy, Macron…] tirent leur fortune de notre exploitation. » A cet égard, Hanouna n’est que le rien dans lequel absorber toute l’intelligence pour la dissoudre. Ceux qui manipulent les fils de cette marionnette « forment des cercles concentriques, où chacun reste à sa place, mais dont le niveau de porosité a de quoi effrayer. » Ainsi les mondes du dessus s’interpénètrent pour mieux jouir d’une manipulation lucrative des mondes du dessous. Et Hanouna, l’interface, pensera avoir du pouvoir, quand ce ne sera que le valet d’une entreprise qui le dépasse.

Ce pamphlet, redoutable, aura-t-il une incidence ? Y aura-t-il un sursaut de l’intelligence collective pour repousser enfin cette lie télévisuelle et l’organisation machiavélique qui la soutenu ? On peut l’espérer, et craindre qu’il faille déjà être conscient pour s’extraire de la nasse. Et si la lumière devait venir de l’extérieur, alors cet Hanouna serait l’outil primordial pour réouvrir le chemin de l’intelligence, de la pleine conscience, en un mot de la Liberté.

Loic Di Stefano

Juan Branco, Hanouna, Le Diable Vauvert, juin 2023, 252 pages, 17 euros

(1) TPMP aurait-il été inspiré par l’Homme pressé de Noir Désir ?

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