Les nouveaux martyrs, mourir pour sa cause
Spécialiste de l’historie des révolutions sud-européennes, l’historien Pierre M. Delpu enseigne à l’université libre de Bruxelles. Ayant consacré ses recherches autour du martyre politique, il est logique qu’il ait publié Les nouveaux martyrs chez Passés composés en novembre dernier.
La transformation d’un concept ancien

L’Antiquité est remplie de figures de martyrs mort pour leur foi avant que l’église ne s’installe en occident. Cependant le moment révolutionnaire voit naître des martyrs politiques, soit du côté des partisans de 1789, soit de leurs opposants. Il en va ainsi de Marat et aussi de sa tueuse, Charlotte Corday, chacun célébré dans son camp. Louis XVI devient aussi une figure du martyre politique pour ses partisans. On meurt et on est célébré par les partisans d’une cause. Au XIXe siècle, on voit ainsi nombre de patriotes être emprisonné où mourir pour leur cause. Ils sont ensuite célébrés par les patriotes : c’est le cas des morts de 1830, ce sera ensuite celui de Garibaldi. Les socialistes auront aussi leurs martyrs, comme le pauvre Jaurès.
Les grandes hécatombes
Au XIXe siècle, on célèbre les victimes des moments révolutionnaires ou des persécutions politiques. Au XXe, les choses changent avec la guerre de masse. Ainsi les morts de 1914-18 sont présentés et célébrés comme des martyrs de la guerre contre l’Allemagne impérialiste (et luthérienne), pays qui violente les civils et détruit monuments (comme la cathédrale de Reims) ou bibliothèques (celle de Louvain). Les monuments aux morts bâtis dans l’entre-deux-guerres commémorent leur sacrifice, si présent dans une France en pleine crise démographique… mais c’est aussi le cas en Angleterre, en Italie ou en Allemagne. La seconde guerre mondiale est dominée par le martyr des juifs, exterminés comme on le sait, et aussi celui des résistants (songeons aux figures de Jean Moulin et de Pierre Brossolette). Cet essai retrace avec brio la laïcisation d’un concept religieux. Passionnant.
Sylvain Bonnet
Pierre M. Delpu, Les nouveaux martyrs, Passés composés, novembre 2024, 336 pages, 23 euros