Aryennes d’honneur de Damien Roger

Quand en finirons-nous avec les fictions vichyssoises et en finirons-nous ?  Foin des blabla et des légendes : des “juifs”, comme hier des Héréros, ne devaient subsister que quelques ossements, fragments de chair et vieilles photographies, collationnés au Struthof ou dans l’un ou l’autre des temples toujours actifs – une autre histoire –  de la science médicale nazie. Des enfants d’Abraham comme des fils d’Aaron, serviteurs du Veau d’or et de ceux de Moïse, adorateurs de la Loi et du dieu unique, aucun ne devait subsister, espèce assassinée au nom de l’amélioration de la race humaine.  L’aryanisme, white matter, white or strawberry pride, sera le genre humain.

Le projet semblait fou. L’était. Comme tant d’autres.  Et pourtant l’utopie, toujours, figure le plus chic des modèles de développement.

La chose en Europe prenait forme.

Le dessein ou dessin, d’abord timide, avec l’arrivée au pouvoir de l’auteur de Mein Kampf, devenait plus certain.

La France, lectrice de Drumont, celle à qui l’abbé Grégoire et Napoléon avaient fourgué, de jure, les juifs dans les pattes, sans réclamer le consentement d’un peuple malheureux comme toujours le sont les peuples, se préparait de longue date à s’en débarrasser. Aux maux ordinaires des sociétés, il fallait une raison, un coupable,

Un pelé, un galeux d’où venait tout le mal…. 

Et même si personne n’y croyait tout à fait, l’effort consenti à la lutte anti judaïque, dispensait de tant d’autres. Cela eût un beau nom : Révolution nationale.

Pour accomplir ce prodige, il avait suffi d’un vieillard au torse et aux épaules fortement médaillé et  à l’esprit limité – non seulement le beau Philippe avait toujours manqué d’imagination, préférant les realia – les bonnes et belles chairs – aux idées mais ses forces l’abandonnaient -;  d’un affairiste balzacien, maquignon assez avisé pour savoir que et qui  troquer surtout contre quoi, à telle ou telle date ; d’une poignée de salauds ambitieux, de serviteurs zélés  et d’un maître étranger sur lequel rejeter, après coup,  la responsabilité, en cas d’échec. Une sorte de grande magouille, pas plus élaborée qu’un complot lycéen. En cas de semi-échec, trop contents d’exister encore, les juifs fermeraient leurs grandes gueules.  

Le pire ?  Ça avait passé crème !

Bien sûr Pierre Goldman, l’obscur  juif polonais né en France ;   le vieux Roman Kacew,  travesti, pseudo pseudo, en Ajar ;  Perec, perpétuellement au bord du suicide et un bon peu de gauchistes, qui n’avaient pas encore rencontré Lévinas, vulgarisateur de la Kabbale, l’avaient un peu mauvaise sans oublier Grothendieck-le-magnifique qui avait fini quasi fou…Même Gainsbourg,  avant de se muer en Gainsbarre, parfois se souvenait d’une nuit dans les bois de Haute-Vienne à se la jouer Petit Poucet, étoile de sheriff  au cœur,  tandis qu’alentour, chacun dansait, béat,  le nazi rock,  comme Catherine Ringer, née sous la même étoile jaune, n’avait pu s’empêcher de célébrer, sur un air endiablé,  le petit train de la mort qui, joyeusement par les beaux chemins d’Europe, s’en allait en cahotant…  

Sûr qu’ils auraient aimé être les fils d’une autre histoire mais bon, en dépit du vacarme médiatique, la France s’en foutait, trouvait même que de cette minorité, somme toute bien lotie, nantie, on causait trop. Et puis Vichy c’était pas la République… Ni même la France, ce qui considéré que depuis la mort du Général-Honneur tous les fils de collabos et leurs pères se sentaient l’âme gaulliste, arrangeait tout le monde. En l’absence de cadavres, pas de coupables et puis la mémoire est soluble dans l’eau solfiait l’étonnant Charles Najman, filmant dans un documentaire époustouflant de drôlerie et d’intelligence, sa mère, Solange Najman, et ses compagnes de déportation, en cure à Évian- pourquoi pas à Vichy.

L’Allemagne, en effet et en guise, non pas de parasol mais de dommages de guerre, offrait, après contrôle médical, jawohl Herr Doctor, tous les deux ans, un séjour de remise en forme aux anciens Rayés qui en faisaient la demande. Il suffisait d’avoir le bon numéro. Et que dire de Pitchipoï, son ultime opus, ce chef-d’œuvre d’humour yiddish où se mêlaient, en une sarabande effrénée, le refus viscéral du sionisme et l’éloge paradoxal de la terre ancestrale : la Pologne où ses mères et grand-mère furent martyrisées et les leurs, mis à mort … Les enfants des années 50 ne se la jouaient pas Cyrulnik. En l’absence d’épuration, ils ne posaient pas aux augustes cléments, juste aux augustes de cirque, bien décidés à esquiver les coups de pieds et à regarder tomber les clowns blancs !  

Moins célèbre, mon ami Thierry R. se plaisait à déguster son sandwich au jambon les jours de Grand Pardon, à la porte de la synagogue familiale. Aucun d’eux, jamais, n’épousaient de juives et leurs bar mitsvot ressemblaient à s’y méprendre à une séquence de film :   tous hantés qu’ils demeuraient des mêmes dibbukim que ceux qui, à leur insu, assaillent les anti héros de Serious Man !

À la décharge des Français libérés, les Anglo-Américains, toujours la faute des Autres, avaient suivi le vœu du Pétain de 1918 qui prétendait – sans doute avec raison ! – continuer d’avancer en Bochie, afin que les Teutons n’aillent pas se la raconter, couteau dans le dos, victorieux effectifs et perdants déclarés.

Aussi la France,  qui n’avait, une litote, que peu combattu – seuls,  ses minoritaires, factions bretonnes,  de l’île de Sein,  venues ;  royalistes, Arméniens et youpins FTP MOI, cocos dociles,  qui après avoir saboté le job dans les usines d’armements, s’étaient recollés de la barbe à Papa après l’opération Barbarossa ;  patriotes trop sensibles, que la vue d’une croix gammée aux frontons des édifices publics  irritaient ; ou simplement “hommes honorables”,  de tous âges et toutes catégories :  lycéens de Jeanson de Sailly,  pères tranquilles, maires ou pharmaciens, notables ou prolétaires,  avaient risqué leurs peaux, – dut-elle reconstruire fissa fissa de quoi loger les surgeons de la paix revenue, aussi tous les bâtards des malheureuses filles à boches dont rien n’était vraiment la faute.  

 Manches relevées, personne n’avait le temps de s’occuper de juger les 7 000 waffen SS français, oui Monsieur, FRAN- ÇAIS qui avaient prêté serment au Führer et pour certains, donné la main, sur le front de l’Est ni d’aller loger les auteurs – des milliers de correspondants pour la plupart anonymes – qui, cinq ans durant, avaient encombré les bureaux de la rue de la Saussaie de leurs torchons sycophantes.

Enfin tout alla comme prévu, les juifs ayant été statistiquement moins nombreux à monter dans les wagons plombés que leurs frères frontaliers, chacun se contenta des explications non fondées d’historiens du dimanche qui, sans l’appui d’aucune archive, se la rejouèrent juifs français à la Dreyfus, innocentant le Maréchal, chargeant la mule allemande,  afin de rendre aux Français l’honneur et la dignité requises pour poursuivre cahin-caha la VDM, qu’en vain,  les émeutiers de 1968 pourfendirent,  avant le triomphe intégral  des sociétés du Loisir et de Consommation.  

Bref retour sur l’an 40.

Pour parvenir au résultat escompté, se débarrasser de tous les juifs (oreilles collées, nez et mains crochus,  en habits de soie ou en caftan noirs ) il  fallait ruser, prendre son temps, séparer les soucheux – arrivés dans les bagages de César en Gaule -,  les juifs dits du Pape, les Israélites bon teint, particulièrement ceux de l’est de la France, en faveur desquels, avant de perdre la tête,  Louis XVI déjà cherchait un statut qui les intègrent dans le paysage national :  séparer ces juifs heureux comme dieux en France, en passe d’oublier  leurs origines – assimilés,  singes et guenons des Beaux Quartiers – des youpins noirs,  de Lituanie, de Russie, de Pologne,  venus  et des camarades artisans et prolétaires de Belleville, camarades de l’Internationale en casquettes et cols bleus… Reconstituer le ghetto, monter des murs, séparer pour régner et pour cela, lutte des classes jamais morte, faire établir les listes par les institutionnels juifs.

 Dès octobre 1940, le législateur, en l’espèce, le Maréchal-Putain des Boches, réalisa – divine surprise ! – le premier volet du rêve maurrassien, le vœu du bestseller man Drumont, Édouard Adolf de son p’tit nom.  

Aucune illusion désormais, seuls le sacrifice, les combats et la victoire des armées alliées ont permis au judaïsme d’exister encore, névrose, mal être ou psychose, en Europe comme en Israël où l’extermination du 7e million était prévue, seulement empêchée par la victoire d’El Alamein.

Mais les juifs devaient, contre toute attente, continuer d’espérer.

 La Bochie réclamait ses gages et lui, le gouvernement du Maréchal, qui s’en défaussa sur Laval, donner au compte-gouttes ses juifs, afin de sauver chaque jour d’authentiques et innocents Français ! Mais ces cons se croyaient toujours les juifs de l’abbé Grégoire, ceux du Concordat et refusaient, en dépit du premier accroc, l’affaire D., de se voir sous la flanelle, la soie et le tweed, comme figures de l’expo du palais Berlitz : ce qu’aucun juif aujourd’hui n’ignore plus !  

Les misérables-qui-n’ont jamais de pain d’avance partirent les premiers – honneur à Maurice Rajsfus dont je ne partage pas toutes les idées pour le labeur accompli ! – mais tous sans exception devaient suivre.  Au lieu de rejoindre l’Angleterre, l’Amérique, les juifs des Beaux Quartiers ont cru aux vertus du sacrifice des humbles, sans admettre, sous leurs robes et leurs costumes de couturiers de luxe, sous les dorures et le stuc de leurs palais, ne pouvoir échapper au verdict, de longue date, à leur encontre, rendu. Wannsee, le terminus ad quem de millénaires de haine, en attendant le suivant, puisque, de la nuit et du brouillard, le judaïsme a resurgi, toujours flanqué de son jumeau l’antisémitisme ou antijudaïsme, qu’importent le flacon et le nom, pourvu qu’on ait l’ivresse, avait pour tout un peuple bien été une nuit éternelle….

 Je les entends toujours ces juifs. Aujourd’hui, ils s’émerveillent de la splendeur d’Odessa construite par leurs pères et défendent la valeureuse Ukraine, celle dont le père Dubois et le roboratif ouvrage de Marie Moutiers-Bihan, Le pacte antisémite, décrivent la forfaiture, connue sous le nom de shoah par balles. 

En effet, dès le lancement de l’opération Barbarossa par un Hitler, déjà certain d’avoir perdu la guerre : il pensait faire diversion et pariait sur une union anti-soviétique aux côtés des Alliés, pour n’avoir à perdre ni la face ni son pari de regermanisation des territoires slaves, les paysans ukrainiens se lancèrent allegro vivace à la chasse aux juifs et au pillage de leurs humbles demeures.

Le cadre légal offert par les Boches devint un véritable permis de tuer, relayé sur place par ce qui demeurait d’autorités locales, sur fond du même ressentiment de la population à l’égard de leurs voisins juifs. A c’t’heure, tout le monde passait par les mains des popes et ce n’étaient pas les derniers des antisèm – ils n’ont même pas de Nostra Aetate, c’est vous dire !   

Le passé, chose entendue, appartient au passé et rien ne justifie, exceptée la faillite de sa politique intérieure, la violence de Poutine. Encore faudrait-il que ce passé fût reconnu, ce qui, je peux, connaissant un bon peu d’Ukrainiens condamnés à l’exil, en témoigner, ne l’est pas. On se croirait dans la Bochie du redoutable Fritz Bauer,  du temps où il faisait le siège du gouvernement israélien pour lui dire avoir la preuve qu’Eichmann était toujours vivant mais craignait  de la confier à quiconque en Allemagne, trop certain que l’homme, sur le champ, prévenu, quitterait, sinon l’Argentine, du moins son dernier domicile connu, et cesserait de descendre chaque soir à 19h30 du bus 203 sur la route 202, qui pour lui, serait, cagoule sur la tête, sa mini nuit et brouillard portative !

Les juifs sont comme les autres hommes, en dépit de l’évidence, ils se refusent à admettre le tragique et traitent les pessimistes de paranoïaques ou de lassantes cassandres.

Bref, Roger a eu raison de tenter de se mettre dans la peau des pauvres petites filles riches, saisies, misérables oiselles prisonnières de leurs cages dorées, dans la tourmente de la Révolution nationale et son procès de mise à l’écart concerté des “Comme eux” : ces juifs de Proust, qui toujours font battre les cœurs des auditeurs de France Culture.  

Le mérite de ce livre tient tout d’abord à son existence. Personne n’avait écrit sur le sujet, pour la bonne et simple raison, qu’on pouvait difficilement dire que les Riches avaient tenu les coudes de leurs coreligionnaires et s’il vous arrivait un jour de croiser des fils et des filles de déportés et de les interroger sur l’UGIF (Union Générale des Israélites Français) vous seriez assez étonnés par la violence de leur propos et du ton des débats ! Ils en veulent davantage aux Richoux, qu’à la France qu’ils dédouanent de ce mot trop souvent et sottement rachâché : Vichy n’était pas la France…

Aujourd’hui, les esprits nettement moins politiques, ce sujet peut sortir et ma foi le roman en est assez ahurissant.

Entre “roman” et micro histoire, Damien Roger redonne vie si l’on peut dire à ce milieu dès l’origine momifié. En effet, être né riche impose plus de contraintes qu’être né misérable. Entre être et avoir, il faut pouvoir choisir ! En outre, être née femme, à cette date et en ce milieu, réclamait une force peu commune : la raison qui me fait tant admirer Pauline Benda mais à sa décharge, sa mère était née moins que rien et son père déjà fuyait ce monde étroit de la finance et de la banque, rêvant d’horizons perdus. Le confort avilit les âmes autant qu’il affaiblit les corps.

Le narrateur, neveu d’une gardienne d’immeuble, chipe, enfant fasciné par ce monde inconnu des Beaux Quartiers, une photo chez une vieille Dame très chic – il voulait seulement la regarder de près, intrigué mais la propriétaire de la photo sur le point de surprendre l’indiscret, au lieu de la reposer, l’avait emportée. Un jour devenu grand, il la retrouverait et mènerait son enquête. Au dos de la photographie, une date :

 Octobre 1933, une dédicace À ma chère ML, en souvenir d’une merveilleuse journée, Annie.

Annie, c’est Alphonsine Berthe Eugénie Hardon qui, détestant son prénom d’usage Eugénie, se faisait surnommer Ninie par ses amies jusqu’à devenir Annie, épouse Pétain… et Marie-Louise c’est la comtesse de Chasseloup-Laubat, née Marie-Louise Fanny Clémentine Thérèse Stern, une des vingt-six personnalités françaises exemptées du port de l’étoile…. “une aryenne d’honneur”... le titre est contesté, n’importe. La chose a existé.

Les Stern sont riches, selon Roger, Ernesta Stern, la mère de Marie-Louise, aurait été un des modèles de la Verdurin ! Le cœur saigne.

Veuve, Ernesta prétend poursuivre vers l’infini et au-delà l’ascension sociale de la Famille. Elle unira Marie-Louise au marquis Louis de Chasseloup-Laubat. La cérémonie aurait lieu à Saint-Pierre de Chaillot et le lendemain des noces, Marie-Louise abjurerait sa faible foi. Sans amour ni pour son époux ni pour le Christ, la jeune femme recevrait le baptême. Deux fois flouée, la pauvre Marie-Louise, épousée pour une dot conséquente, s’en irait vivre, seule absolument, en terre étrangère, à la merci du mépris des vieilles familles de France….

La cadette, Lucie, épouserait aussi un baron, de moindre et plus récente noblesse Pierre Girot de Langlade, se convertirait sept ans plus tard ; leur cousine, Suzanne, elle, se ferait catholique avant de convoler avec le comte Bertrand de Sauvan d’Aramon.

Que devinrent ces mariages arrangés et ces conversions opportunes autant que de façade à l’épreuve de l’Occupation ?  Vous lirez.

L’unique conclusion que l’on peut tirer de ce très sinistre récit tient entière dans la question féministe, il est inconcevable que les femmes, destinées comme chacun sur cette terre à rencontrer l’Histoire, aient été et demeurent si peu et si mal éduquées. Les pauvres ne se sentaient ni juives ni catholiques à peine épouses, elles se pressentaient “sacs” à vider en compensation des mêmes vieux fichus deniers de Judas. L’étaient. Du monde, elles ne connaissaient que le nom des bonnes maisons où se fournir et où se vêtir à chaque saison et en fait d’usage, seuls ceux des dîners, des thés et des bals, leur étaient familiers.  

Que faut-il conclure de ce terrible récit ?

Tout d’abord, la nécessité absolue du mariage d’amour et celle de la prévalence de la qualité humaine en ces sortes d’affaires.  Toujours prévoir le pire en choisissant son partenaire ! Le prince Charmant devra être Vaillant à moins que les filles sur le champ se métamorphosent en Wonder Woman ! Normal que les descendants des martyrs des années 20 à 40 se plaisent à entendre des histoires de super héros, les caves de la gestapo, n’autorisant que le cyanure.

En vous souhaitant bon estomac, bonne lecture, surtout belle descente au terrier de France-Alice, ici très solidement documenté, il convient de saluer l’effort de Damien Roger d’avoir ajouté une page sanglante à la Suite française, augurée par Proust, poursuivie jusqu’à Auschwitz, par Irène Némirovsky.

En France, on naît israélite et on meurt youpin, n’en déplaise au CRIF, fier descendant de l’UGIF.  Sioniste ou propal’, l’enfant d’Israël sera un jour ou l’autre importun au pays des droits de l’Homme et du Citoyen. Cette page ajoutée à la furia assimilatrice rappelle avec une violence sans égale que celle-ci ne se peut qu’avec le consentement de ses partenaires : dans le cas particulier des juifs, impossible à obtenir, semble-t-il.

N’importe où hors du monde, étrangers sur la terre… condamnés à vivre dans le Livre, seulement le Livre, à moins qu’ils ne rejoignent – auxiliaires de l’armée des rêves – d’autres cohortes, hier celles du PCF… Babel, Cavalerie rouge… celle des soldats de Sion en attendant la normalisation et son cortège d’ignominies…  Extrême-gauche… Show Business ou Yeshiva…  Pour vivre en juif, il convient d’avoir le cœur bien accroché ou bien de fermer hermétiquement sa porte au monde, dénaturant le message biblique !

Au fond l’antisémitisme c’est comme la grande Armée le meilleur pourvoyeur d’égalité qui se puisse, que vous soyez puissants ou misérables, vous finirez nus et maigres, tremblants dans des wagons plombés. Que vous soyez de beaux ou de hideux enfants, une balle dans la nuque vous attend. Aujourd’hui, aucun juif ne l’ignore plus. Ou presque : ce qui rend la communauté difficile à supporter et la lecture de ce livre assez pénible, tant la naïveté effraie les âmes – hélas, trois fois hélas – déniaisées.

Ne reste que le sourire : de Nini à ML pour la vie !  

Deux vieilles dames, comme deux ombres, sur un banc du square des Invalides, celui-là même où Montherlant dans Le fichier parisien regardait avant-guerre une mère faire jouer ses enfants. Le nom de cette rare mère qui eut le don, par sa conduite, d’émouvoir et de forcer l’admiration de Montherlant ?

Irène Némirovsky, du firmament des lettres françaises au convoi numéro 6, départ de Pithiviers-qui- êtes sur la route de Chartres, le 17 juillet 1942…  

Pour les survivantes, le temps des fêtes et des bals avait passé.

Ont-elles, mourant qui,  à Auschwitz,  qui de mort naturelle,  plus tard après la libération du territoire,  su avoir une fois de plus rejoint la cohorte majoritaire qui croit, autruche toujours la tête dans le sable, aux vertus de l’attentisme : là où la France, décrite avec fureur et justesse dans Le solstice de juin du preux Montherlant, se fait pays réel et ces juives de naissance,  les plus parfaits parangons de la morale de midinette, qui à toute chose, préfèrent l’hypothèse consolante et n’abandonnent leurs rêveries côtes d’Azur qu’à la dernière extrémité. Pour les héroïnes de Roger Damien, élues par le malheur, un peu tard.        

Sarah Vajda

Damien Roger, Aryennes d’honneur, Privat, février 2023, 22,90 euros.

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