Le Rire ou la Vie, Anthologie de l’humour résistant 1940-1945

Le titre, Le Rire ou la Vie, n’est pas d’une clarté limpide, parce qu’on peut penser que le ou est un ou exclusif du type « La bourse ou la vie ». Heureusement, le sous-titre, Anthologie de l’humour résistant, 1940-1945, est là pour nous faire comprendre qu’en l’occurrence le rire est la vie, l’humour étant peut-être la politesse du désespoir, mais aussi l’irrévérence de l’espoir. Les Anciens le savaient bien qui disaient qu’une victoire n’est jamais acquise tant que les vaincus n’ont pas reconnu officiellement leur défaite.

Or c’est bien ce qui se passe dans tous ces textes réunis par Alya Aglan. Une guerre est toujours aussi une guerre psychologique, qui se joue à travers des mots et des caricatures. On sait que Jean Moulin, incapable de parler à la suite des tortures qu’on lui infligeait, n’avait pas rejeté le papier et le crayon qui lui étaient tendus pour qu’il écrive ses réponses, mais s’en était servi pour faire la caricature de son bourreau. Un pareil geste n’est-il pas comme une victoire sur la mort ?

Le Rire ou la Vie est donc un recueil de différents textes, classés à la fois chronologiquement et thématiquement, publiés dans des journaux ou dans des tracts prônant la résistance à l’occupant. L’ironie va évidemment bon train comme on peut par exemple le constater dans cet article du Franc-Tireur :

Le 15 septembre, Vichy a sorti un décret aux termes duquel tout étudiant ayant été reçu aux épreuves écrites du bachot obtiendra de plein droit celui-ci sans passer les épreuves orales s’il est inscrit… à la Légion Tricolore !!! [La Légion en question, française, combattait sous l’uniforme de la Wehrmacht sur le front de l’Est.]

Bravo ! Mais c’est insuffisant !

Nous proposons de compléter ce décret par les dispositions suivantes :

Art. 2 – Si le légionnaire devient lieutenant, il aura droit à cinq certificats de licence.

Art. 3 – S’il atteint le grade de capitaine, l’agrégation lui sera conférée.

Ironique aussi, mais relevant presque du calligramme, ce poème anonyme sur un tract marseillais de 1941 :

Aimons et admirons le Chancelier Hitler.

L’éternelle Angleterre est indigne de vivre.

Maudissons, écrasons le peuple d’outre-mer ;

Le nazi sur la terre sera seul à survivre.

Ironique ? Mais oui, si on le scinde en deux colonnes, qu’on lira chacune verticalement :

Aimons et admirons      le Chancelier Hitler.

L’éternelle Angleterre   est indigne de vivre.

Maudissons, écrasons   le peuple d’outre-mer ;

Le nazi sur la terre       sera seul à survivre.

Tout cela vous a peut-être des airs un peu potaches, mais certains textes, tels que ce poème de Jules Romains (l’auteur des Copains et des Hommes de bonne volonté) dont nous citons le bref extrait suivant, mêlent à l’ironie une certaine mélancolie « verlainienne », non dénuée de compassion à l’égard de l’ennemi, la guerre étant toujours un fléau de part et d’autre :

Fritz Muller n’est pas une bête.

Il a lu trois fois Mein Kampf.

Il sait qu’Hitler est un prophète :

Le Christ revu par Gengis Khan.

Lui-même aurait des goûts paisibles.

Il eût vieilli bien volontiers

Entre les plaisirs de la table

Et le train-train de son métier.

Mais adieu l’odeur des saucisses,

Et la tranquille ambition !

L’homme allemand n’a pas de chance :

Il doit remplir sa mission.

Ces trois cents pages ne sont pas loin de constituer à leur manière une petite histoire de la Seconde Guerre mondiale, les textes et les caricatures se faisant de plus en plus audacieux et de plus en plus optimistes au fur et à mesure que le temps passe (cf. ce dialogue irrésistible entre Hitler et Mussolini directement inspiré de la chanson Tout va très bien, Madame la Marquise – « Pourtant il faut, il faut que je te dise, / Je déplore un tout petit rien : / Des petit’s villes ont été prises / Sur les fronts grec et de Libye. »). Elles montrent aussi pourquoi il est vain de prétendre dissocier la littérature et la réalité.

Toute ressemblance avec des événements actuels serait bien sûr purement fortuite.

FAL

Alya Aglan, Le Rire ou la Vie – Anthologie de l’humour résistant, 1940-1945, Gallimard, « Folio Histoire », avril 2023, 304 pages, 9,20 euros

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