La santé mentale en France, grandeur et misère de la psychiatrie

Voici un ouvrage monumental dont le sous-titre, Faire de la psychiatrie une grande cause nationale, est un mot d’ordre aujourd’hui proclamé par l’ensemble des organisations de santé. Voilà ce qu’elles en disent : en faisant de la santé mentale une grande cause nationale, nous contribuerions à briser les tabous, à déconstruire les préjugés et à créer un environnement propice à l’épanouissement de chacun. Le livre vient appuyer cette action par un document de poids. Qu’on en juge : le livre rassemble 114 auteurs dans une soixantaine d’articles, sur 794 pages.

Misère de la psychiatrie

Le constat est le suivant : un Français sur cinq est touché chaque année par un trouble psychique, ce qui représente 13 millions de personnes, alors que les lits de psychiatrie ont été largement diminués en France dans la dernière décennie, passant de 98 000 à 59 000 entre 2013 et 2022 pour l’hospitalisation complète. Il semblerait que, à l’instar des prisons, l’État ait abandonné la psychiatrie : tous deux secteurs improductifs… Le système de soins est en souffrance, il ne parvient pas à fournir une réponse satisfaisante aux besoins immenses. Il y a la souffrance des patients et des familles qui voient les délais de réponse pour une simple consultation s’allonger : la plupart du temps il se compte en mois, voire en semestre…

Alors que la psychiatrie française a inventé le mouvement aliéniste avec la loi Esquirol de 1838, connu le grand mouvement de la psychothérapie institutionnelle et l’invention du secteur psychiatrique dans les années 1960, bénéficié de l’empreinte de la psychanalyse qui est un champ formidable de richesse culturelle, voilà que la neurobiologie et les neurosciences s’installent. Or, depuis que l’on veut faire de la psychiatrie une discipline médicale comme une autre, celle-ci connait une perte de valeur symbolique. Pour toutes ces raisons, on ne s’étonnera pas de déplorer le manque de psychiatres actuels et futurs, dans les hôpitaux comme dans les écoles de médecine. 

Grandeur de la psychiatrie

Il s’agissait pour Aurélien Vautard et Florian Porta Bonete, les organisateurs du livre, de dresser un état des lieux, et de proposer des actions de changement en développant trois grandes thématiques :  les grandes pathologies en santé mentale ; l’organisation des prises en charge en santé mentale ; humanité et enjeux de société de la santé mentale.

En préface, Boris Cyrulnik rappelle que l’objet de la psychiatrie est complexe. Toute souffrance psychique met en jeu l’affectivité, les capacités verbales, les productions mentales, le fonctionnement du cerveau, alors dissociés des structures contextuelles familiales, sociales et culturelles. C’est dire que la plupart des praticiens sont d’accord pour ne pas suivre la mode actuelle du neurobiologisme universel :

« le cerveau est social, affirme Cyrulnik, parce qu’il ne peut fonctionner que dans la rencontre avec le milieu qui le sculpte ». 

C’est dire aussi que l’explication du trouble mental est toujours en débat. Classiquement on distingue une définition naturaliste où le biologique prévaut, d’une définition normativiste, où le patient se sentirait hors norme. Aujourd’hui prévaut une tentative de conception hybride, tenant compte de ces deux dimensions. 

Concernant la promotion de la santé mentale, Linda Cambon et François Alla ont ces mots :

« Le secteur de la santé mentale, par son historique en termes de structuration et d’approche, et par le fait que la prise en compte de l’interaction somatique, mental et social est naturelle dans ce secteur, pourrait être le fer de lance de la mobilisation des soignants – avocats des populations – pour de meilleures conditions de vie en faveur de la promotion de la santé mentale ».

C’est dire l’importance du rôle social et politique de la psychiatrie.

Jean-Claude Liaudet

Sous la direction d’Aurélien Vautard et Florian Porta Bonete, La santé mentale en France, préface de Boris Cyrulnik, LEH Éditions, mai 2024, 397 pages, 49 euros

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