On ne fait pas d’omelette sans casser « de »

Rencontré la formule suivante dans un récent roman (dont il est inutile de donner la référence puisque la même faute se trouve dans cent autres textes) :

*un livre dont ni mon père ni moi ne nous souvenions du titre

Rien de bien choquant a priori dans une telle tournure ? Elle va pourtant à l’encontre de ce qu’on nommera ici pompeusement le génie de la langue française, si ce génie consiste à faciliter la tâche du lecteur.

Reprenons, en nous faisons d’abord l’avocat du diable. Nous pouvons dire, indifféremment :

Nous ne nous rappelons pas le titre de ce livre

ou

Nous ne nous souvenons pas du titre de ce ce livre

Et donc, puisqu’il est parfaitement correct de dire

un livre dont nous ne nous rappelons pas le titre,

pourquoi n’aurions-nous pas le droit de dire, sur le même modèle,

*un livre dont nous ne nous souvenons pas du titre ?

Eh bien, précisément, parce que ce n’est pas « le même modèle ». En effet, même si tout se joue sur une ou deux secondes à peine, dans le second cas, nous pouvons avoir dans un premier temps — tant que nous n’avons pas lu toute la phrase — l’impression que ce dont nous ne nous souvenons pas, c’est le livre (un livre dont nous ne nous souvenons pas), alors même que l’on peut très bien se souvenir d’un livre, de son contenu, sans pour autant se souvenir de son titre.

Il convient donc, pour éviter d’avoir à accomplir in extremis une correction de trajectoire, de viser juste tout de go en désignant précisément la cible.

Ce qui donne :

un livre du titre duquel nous ne nous souvenons pas.

De la même manière, on ne dira pas

*Voici l’homme dont j’ai parlé au frère

(tournure qui pourrait d’abord nous faire croire que j’ai parlé de l’homme en question),

mais

Voici l’homme au frère duquel j’ai parlé.

Évidemment, qui va prêter encore attention à ce genre de subtilité quand on voit que désormais le lion de la MGM estime plus sage de rugir sous la devise Art for art’s sake, en anglais in ze text, avant de la morpher dans sa version originale latine Ars gratia artis, celle que nous voyions d’emblée depuis des décennies. Les temps sont durs pour la culture…

FAL

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