Pierre Bénichou – Une figure de style, par Benjamin Puech

« Rien n’est plus triste qu’un best-seller qui ne se vend pas », avait déclaré un jour un grand éditeur parisien. On pourrait dire de la même façon : « Rien n’est plus triste qu’un amuseur qui ne fait pas rire. » Et cette catégorie est malheureusement de plus en plus représentée. Écoutez-les, ces chroniqueurs, sur les radios publiques et privées : le plus souvent, les rires qu’ils déclenchent ne sont que les rires forcés de leurs camarades. Rires corporatistes, et sans grande valeur, car ce sont bien moins des rires que des ricanements.

« La moquerie est souvent indigence d’esprit », a écrit La Bruyère, devançant en cela Bergson qui, dans Le Rire, explique qu’il ne peut y avoir de rire face à une situation que si, volontairement ou non, on fait abstraction de certains éléments qui déterminent cette situation. Un bègue n’est « drôle » que si l’on ignore que son bégaiement est dû à un traumatisme subi dans son enfance. Autrement dit, il faut être, oserons-nous dire ? cultivé et savoir trouver un juste équilibre si l’on entend faire rire de manière « honorable », et qui se souvient d’émissions avec Jean Yanne, Jacques Martin ou Francis Blanche – gens capables de citer par cœur des auteurs classiques et ne prenant pas le Pirée pour une personne – ne peut être que catastrophé en entendant telle star de France Inter débiter ce qu’elle pense être une excellente vanne sur la pédophilie. Non, contrairement à ce que prétendent certains, on ne peut pas rire de tout et un brin d’autocensure n’est pas forcément une mauvaise chose.

L’un des représentants les plus représentatifs de cette galerie d’amuseurs sinistres était a priori Pierre Bénichou, mort il y a cinq ans. Dans la bande des Grosses Têtes dirigée par Laurent Ruquier, c’était le vieux monsieur indigne, bien pire que le pire des sales gosses. Il ne cessait de ronchonner… quand il ne dormait pas, car parfois, selon ses propres termes, il s’assoupissait. Et il était régulièrement d’une invraisemblable, insupportable, indéfendable vulgarité. Mais peut-être se permettait-il cela parce qu’il était d’un autre âge – il s’obstinait à parler de feuilletons quand tout le monde parlait de séries – et avait de ce fait sur maint sujet des connaissances que d’autres n’avaient pas. Fils d’un professeur de philosophie, neveu de Paul Bénichou (l’auteur de Morales du grand siècle et du Sacre de l’écrivain), il se fichait éperdument de Game of Thrones, mais il avait connu Camus, et s’il dépassait trop souvent les bornes – dans sa misogynie, par exemple –, il ne craignait pas de se prendre lui-même pour cible : « Bénichou, je pensais que c’était un nom juif, c’est pour ça que je ne me fréquentais pas. » Cela s’appelle l’humour. Sur le même thème, on pourra citer également: « Mein Kampf perd beaucoup à la traduction. »

Le grand public sait-il que cet iconoclaste avait eu une vie et bien d’autres vies avant d’entrer – au début à reculons – dans la bande des Grosses Têtes et de s’asseoir sur le canapé rouge de Michel Drucker ? Journaliste, responsable pendant une assez longue période du Nouvel Obs, conférencier à Sciences Po (où on le réprimanda parce qu’il avait eu l’audace de mettre des auteurs classiques dans son programme !), Bénichou a été à sa manière un témoin de son siècle, et c’est sans doute la raison pour laquelle Benjamin Puech, lui-même journaliste, a décidé de lui consacrer tout un livre en allant interroger un grand nombre de gens qui l’avaient connu. On croise beaucoup de monde dans ce Pierre Bénichou – Une figure de style : Camus (déjà cité), Labro, Mitterrand, Gainsbourg, Jean Daniel, Coluche, Giesbert… Tous ces noms ne plairont pas forcément à tout le monde, mais cette liste – non exhaustive – suffit à prouver que, tel Groucho Marx, Pierre Bénichou n’était pas le clown qu’il semblait être. Pas seulement en tout cas.

FAL

Benjamin Puech, Pierre Bénichou – Une figure de style, Éditions du Rocher, février 2025, 200 pages, 19,90 euros.

Laisser un commentaire