Croire, Sur les pouvoirs de la littérature
Justine Augier, écrivaine, essayiste et traductrice a parcouru le monde au fil de son engagement au sein de l’ONG ACTED. De retour à Paris, elle a écrit plusieurs ouvrages marquants dont “Croire” publié en 2023, un hommage puissant à la littérature.

« L’écriture, c’est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie. » (Perec)
Croire, c’est avoir la foi qu’il existe dans le dessin des mots, quelque chose qui nous poussera à l’action. C’est croire que dans le silence d’un interligne, germera la graine qui nous mettra en marche. Croire en la littérature, c’est lui redonner un sens ; c’est lutter à l’arme blanche des mots afin de ne pas devenir une intelligence vaincue pour rien; c’est garder la trace des tragédies et des souffrances endurées pour que le sacrifice serve à quelque chose.
Le pouvoir de la littérature est immense, abandonnant les clichés pour renouer « avec une langue agile et opérante », à la manière de Claude Simon qui concevait « un engagement de l’écriture qui, chaque fois qu’elle change un tant soit peu le rapport que par son langage, l’homme entretient avec le monde, contribue dans sa modeste mesure à changer celui-ci. »
De l’oubli
L’oubli, grand mécanisme à l’œuvre dans une époque à l’avenir obscur, contre lequel la littérature fournit une arme discrète et implacable.
En s’appuyant sur des faits d’actualité, les exactions syriennes et l’héroïsme de l’avocate et militante Razan Zaitouneh contre le régime de Bachar al-Assad, la période Covid, les suicides de France Telecom ou encore la Shoah, Justine Augier construit des ponts entre la politique, la littérature et sa vie personnelle. Ces structures se déploient sur le fleuve des tyrannies avec pour piliers, les citations de nombreux auteurs qui en éclairent les méandres. Proust, Miller, Gary, Camus, Cohen, Malraux, Aragon, Delbo, Ernaux, Derrida, Zweig, Rilke, Durell, Bataille, Barthes, Derrida, Deleuze et bien d’autres…sans oublier les deux Marguerite, ponctuent son récit de leurs interventions toujours percutantes et riches. Tous conviés par l’autrice pour lutter contre ce mur érigé à l’enfumage public, à l’impérialisme totalitaire, tous « poussés par un désir de justice et le refus du monde tel qu’il va ».
La langue de nos débats publics s’abîme dans la déconnexion entre les mots et ce qu’ils tentent de recouvrir, et l’on peut dire Nous sommes en guerre sans que personne ne soulève l’indécence de cette phrase quand d’autres ailleurs sont effectivement sous les bombes. Cette déconnexion cynique entre ce qui advient et le récit qu’on en fait, le mensonge, sont devenus des modes de discours si communs que rien ne compte vraiment.
Cette confiance illimitée dans le langage
Au centre de L’Espèce humaine, la volonté de parler et d’être entendu, la volonté d’explorer et de connaître, débouche sur cette confiance illimitée dans le langage et dans l’écriture qui fonde toute littérature.
Écriture et lecture se fondent en cette intertextualité réjouissante qui infuse le lecteur inconscient du processus qui définitivement, le transforme. « Les livres sédimentent en moi d’une façon mystérieuse, ils déclenchent de longues et lentes transformations dont il m’arrive parfois de repérer les effets, discernant une preuve du cheminement. Le philosophe Emanuele Coccia n’hésite pas à invoquer la radioactivité de l’écriture pour tenter d’approcher cette façon dont la matière mutante ne cesse de cheminer en nous et d’irradier. »
« Il faut que tu écrives ce livre sur la littérature et ses pouvoirs. »
En lame de fond, la maladie foudroyante de la mère de l’autrice, la ministre et députée européenne Marielle de Sarnez, atteinte d’une leucémie foudroyante et sa commande à sa fille. Puis la recherche des mots tus, ceux qui relient, qui réparent et ceux qui guérissent ; ceux des autres aussi dont Justine Augier reconnaîtra, dans ce très beau Croire, avoir besoin « pour soulager sa peine et vivre son deuil ».
Nathalie Hanin
Justine Augier, Croire, Sur les pouvoirs de la littérature, Actes-sud, « Babel », janvier 2025, 144 pages, 7,40 euros