De pierre et d’os
Qui a dit qu’il faisait froid au Pôle Nord ? A lire le dernier livre de Bérangère Cournut, rien de plus chaleureux, de plus sensible, de plus émouvant, que le Groenland, ses neiges et ses banquises ! Dans ce roman étrangement baptisé De pierre et d’os, l’auteure raconte la vie de jeune fille, puis de femme, d’une esquimaude inuit appelée Uqsuralik, errante au milieu des glaces. Pourquoi errante ? Parce qu’une faille subite dans la banquise l’a séparée du campement de sa famille, et l’a condamnée à la solitude.
Ce drame aux conséquences potentiellement mortelles l’oblige à survivre avec un chien fidèle en mangeant des coquillages, au mieux des œufs de pingouins, au pire la peau tannée de ses bottes. Jusqu’au jour où elle rencontre une autre famille qui l’adopte, la nourrit et lui ouvre son cœur. Bérangère Cournut décrit alors la vie des tribus inuit dans le nord est du Groenland, en chasse perpétuelle de gibier, dans un monde blanc, où l’on rencontre peu d’hommes, surtout des phoques, des bœufs musqués, des ours blancs.
l’amour quand même
Dans cette vie terrible qui ne tient qu’à la frêle épaisseur des murs d’une cabane, elle-même à la merci des plus rudes bourrasques, l’amour s’installe discrètement, et une petite communauté partage dans la joie et le respect de l’autre, les fruits de la chasse et de la pêche des hommes les plus vaillants. Uqsuralik se lie à l’un d’entre eux, père de sa petite fille, puis plus tard, à un chamane, père de ses deux fils, homme complexe qui guérit les malades, et entre en contact avec les « esprits ».
Ces « esprits » n’ont pas la présence charnelle des héros du livre, mais ne cessent de les accompagner, car les Inuit croient en leur pouvoir maléfique, comme ils croient en leur bienveillance pour leur trouver du gibier, c’est-à-dire de la nourriture. En cela le livre de Bérangère Cournut marie en permanence le réel et le spirituel, et donne à ces peuples du nord une capacité d’intégration incroyable à la nature la plus hostile.
Un ode poétique
De pierre et d’os est aussi une ode poétique, vibrante de lumière intérieure, et un hommage à ces lointains cousins de la lointaine banquise. Pour en accentuer la beauté, ce roman est rythmé de nombreux textes de chants, que les esquimaux entonnent, soit pour chasser les mauvais « esprits », soit pour remercier les bons d’une cueillette abondante de fruits, soit pour entrer en contact avec les morts qu’ils vénèrent. Mais dans tous les cas, ce sont la beauté et la poésie qui sont au rendez-vous.
Loin d’être seulement un document sur le Grand Nord, De pierre et d’os est un hymne à l’amour et à la vie. Uqsuralik a dominé ses souffrances, a connu le bonheur, et a pu mourir en paix. Ses fils, à leur tour, deviendront de grands chasseurs.
Didier Ters
Bérangère Cournut, De pierre et d’os, illustrations de Juliette Maroni, Le Tripode, 220 pages, août 2019, 19 eur
P.S. Pour une fois, la couverture et le « prière d’insérer » sont dignes de tous les éloges.
On retrouvera le beau travail de Juliette Maroni sur son site personnel.