Rémi Karnauch, « La Pente douce », un naufrage intime
La Pente douce de Rémi Karnauch, c’est l’histoire d’un road-trip amoureux et improbable… Une douce et lente descente aux enfers. Un délice !
L’histoire est assez simple. Le narrateur, Théo Fléole, est littéralement percuté de plein fouet par la mort de son père. Il se réveille comme cela un matin, après vingt-trois ans d’une vie de torpeur, car ce moment vient de changer quelque chose en lui. On a d’abord l’impression de lire L’Etranger de Camus, au moment il débute son récit par ces lignes énigmatiques : « Aujourd’hui, maman est morte. »
Le ton désabusé est sensiblement le même.
Je me rappelle que l’infirmier ponctuait chacune de ses phrases par mon nom de famille, puis il a prononcé celui de mon père, le même en somme avec une variante pour le prénom — “M. Joseph Fléole va mal, il vous demande.” J’ai voulu poser une question : on avait raccroché. »
C’est dans ces moments de rupture inédits que l’on comprend visiblement beaucoup de choses. Pour Théo Fléole, il saisit, avec torpeur, que son amie d’alors l’a quitté, elle aussi. Il se met d’abord à repenser à elle.
J’aurais aimé, j’aimerais encore décrire au bout de la plume, cette femme dont j’ai chéri les courbes et les langueurs, les silences sinuant le long d’une ligne de faille qui n’en finissait pas. »
Puis, voilà que, sur un coup de tête, il s’emballe et décide de se lancer à sa recherche, ou presque plus à sa poursuite, s’emportant et désirant retourner sur les lieux de leur première rencontre. Mais, évidemment, comme toujours dans ces histoires tragiques (Rémi Karnauch sait d’ailleurs savamment mélanger le tragique et le comique), les retrouvailles ne se passent pas comme prévu.
— Enfin, Théo, tu crois que c’est malin d’embêter les gens comme ça ? Je t’ai dit que je tâcherais de revenir te voir mais tu m’ôtes toute envie… »
Accueilli plutôt froidement par une femme désormais mariée et mère de famille, Théo insiste pourtant, s’incruste même, faisant le siège de sa dulcinée.
La love story tourne rapidement au cauchemar et il semble que rien ne peut désormais0 sauver Théo de la folie.
Je garderai évidemment le secret. Un peu de mystère ne nuit pas. La Pente douce, roman écrit avec la grande précision d’un horloger, se présente presque comme une sorte de célébration de l’énergie vitale et de la folie amoureuse. Si ce n’est pas de la folie elle-même, celle qui guette tout un chacun, dans sa vie la plus ordinaire, lorsque celle-ci soudain bascule jusqu’à mener à l’obsession. Si l’intrigue est ténue, l’écriture en revanche emporte, faisant et défaisant les codes. Et montrant surtout, que Rémi Karnauch est un écrivain libre comme l’air.
Marc Alpozzo
Rémi Karnauch, La Pente douce, H&0, Septembre 2019, 16 eur