Christiane Rancé, Dictionnaire amoureux des Saints

Dans une époque sans foi ni Dieu, la nécessité de redécouvrir les saints semble plus que jamais d’actualité. Christiane Rancé, après sa Lettre à un jeune chrétien, et à ceux qui ignorent qu’ils le sont, en 2017, ses biographies spirituelles dont celle de sainte Thérèse d’Avila (Prix de l’Essai de l’Académie française), publie un Dictionnaire amoureux des Saints. Vrai bonheur spirituel et joie personnelle, dont on n’en ressort pas indemne…

Christiane Rancé nous a récemment écrit un livre très beau sur le Pape François, dont j’ai eu l’occasion de parler dans ces pages, et une lettre à un jeune chrétien que je n’ai pas chroniquée, mais qui est une formidable profession de foi pour un retour pacifié et joyeux à la religion chrétienne et ses possibilités d’élévation spirituelle.

Dans la célèbre collection « Dictionnaire amoureux », qui est un formidable succès depuis 20 ans, elle consacre un essai aux Saints, en quête de lumière, de joie et de beauté. Dictionnaire amoureux à propos d’hommes et de femmes qui viennent d’un autre horizon que nous ; des êtres à part, des êtres dont la « condition sur-humaine », qui les ont amenés à devenir des « héros », des « héros de la vie désintéressée » pour reprendre le bon mot de Renan. C’est donc dans la même démarche que Christiane Rancé se place, dans une démarche d’« avenir », et pour ne pas désespérer du présent, lorsque le constat, trop sombre, paraît annoncer que notre monde risque de disparaître dans la nuit.

On risque de m’accuser de faire dans le pessimisme excessif, gras, le déclinisme sauvage, mais je ne fais que répéter les paroles de l’auteur. Et pourtant, Dieu sait que le constat est alarmant, tant le « XXIe siècle porte le risque de maux encore plus grands » que le XXe, siècle de la mort de masse. La fin de la foi, le déclin des religions, le rejet de toute forme de spiritualité, l’individualisme porté aux nues, la vie matérielle et son gaspillage, le recours systématique aux instincts les plus bas, la volonté de destruction étendue à l’ensemble de la planète, comment ne pas croire Christiane Rancé lorsqu’elle écrit :

Devant de tels périls, qui n’ont rien de virtuel, la sainteté est plus que jamais une nécessité. Elle nous enjoint de nous relever, de nommer le mal, de lui faire face, d’endurer sa violence et, avec amour et pour l’amour, d’en triompher. »

Le lecteur attentif aura remarqué le mot particulier, celui que l’on n’emploie plus qu’à tort et à travers, comme celui de « bienveillance », le vidant ainsi de sa substance profonde, de son être même, à la fois pur et obscur à la fois. Je parle bien évidemment du mot « amour ». Se relever pour l’amour et par l’amour, finalement, assez peu d’hommes et de femmes en sont tout à fait capables, tant on redoute le véritable amour, on le fuit, on le bannit par peur, par crainte de la transformation à laquelle il va nous exposer durablement.

C’est pourtant le chemin qu’ont accomplis tous les saints et toutes les saintes, un chemin de croix, car le chemin d’amour ne peut se distinguer d’un chemin long, difficile, âpre, souvent décevant, mais non moins dans la joie de chaque instant. Emparons-nous de leurs paroles nous conseille l’auteur, sans quoi, « la guerre de tous contre tous cédera à la défaite générale ».

Qu’est-ce qu’un saint ?

Mais alors, qu’est-ce qu’un saint ? Pour Henri Bergson, « le saint est l’artiste divin — le héros de l’absolu » ; pour Vladimir Jankélévitch, « le saint tire son rayonnement de sa puissance à être : ce qu’il a d’intérieur agit sur l’extérieur. Il ne convertit pas. Il est une conversion. »

On voit alors combien la puissance spirituelle est importante ; que sans vie intérieure il n’y a guère de sauvetage possible du monde. Ce dictionnaire ambitionne de nous le faire comprendre, en racontant par le menu, la vie et l’œuvre de ces grands saints. Ainsi on croise : Ambroise de Milan, Jean de la Croix, Elisabeth de la Trinité, Catherine d’Alexandrie, Catherine de Sienne, Ignace de Loyola ou encore François d’Assise (la liste n’est bien entendu pas exhaustive). Mais, — et c’est ce qui fait la force de ce dictionnaire —, on n’y croise pas seulement des saints. Fort heureusement, Christiane Rancé n’a pas oublié d’y ajouter de grands écrivains qui ont vécu, à leur manière une vie de sainteté, comme Georges Bernanos, Léon Bloy, Émile Cioran, Jean Cocteau, Charles Baudelaire, Gustave Flaubert, etc.

Ce Dictionnaire amoureux des Saints, dont la lecture est merveilleuse et délicate, mérite d’être lu, relu et médité. C’est finalement nous qui le méritons. On n’en ressort pas indemne ; on n’en ressort différent. Faites-moi confiance. Je vous envoie dans une lecture jubilatoire, pleine d’érudition et de passion. Mais encore mieux, c’est un livre nécessaire, un livre pour notre temps, un pharmakon indispensable pour comprendre et affronter ce nouveau siècle techniciste, scientiste, mécanisé, obscur, terriblement étrange, angoissant, et presque déjà agonisant, afin d’ainsi affronter sa propre foi et de retrouver le chemin de lumière malgré les périls du monde.

Et puis, pourquoi ne pas le dire, pourquoi redouter ce mot-là, ce livre est plus qu’un bonheur, c’est un chef-d’œuvre. Alors, lisez-le ! Appropriez-le vous ! Soyez comme les saints, « mieux que des rebelles, des insoumis majeurs, des sentinelles de l’avenir. »

Marc Alpozzo  

Christinane Rancé, Dictionnaire amoureux des Saints, Plon, mars 2019, 800 pages, 27 eur

Laisser un commentaire