Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes

Le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, sont deux livres pour le prix d’un. Et deux livres copieux puisque l’ensemble fait 800 pages.

D’une part, un véritable dictionnaire du cinéma d’auteur. Gilles Jacob, cinéphile érudit, parle de cinéastes, d’acteurs et de films qui ont marqué un certain cinéma. Des fiches récapitulatives avec, en évidence, les moments forts, tant du côté des œuvres que des scènes. Beaucoup de noms connus mais aussi des moins célèbres, tirés de l’ombre grâce à ce nouvel éclairage. 

Jacob ayant l’enthousiasme sincère et l’engouement rapide, sélectionne essentiellement des gens et films qu’il a appréciés, ne décochant que quelques rares flèches pour percer des faiblesses ou des comportements parfois agaçants. Beau travail d’un érudit passionné.

L’amour sincère et profond de Jacob pour le 7e Art (avec un grand A) l’aveugle parfois. Ainsi quand il écrit : « Tout le monde a vu, un jour ou l’autre, Brève rencontre, 1946, de David Lean. » Je suis intimement convaincu que si l’on faisait un sondage dans la rue, une énorme majorité répondrait non seulement n’avoir jamais vu cette œuvre mais, aussi (hélas) n’en avoir jamais entendu parler. Les jeunes qui se précipitent aux Avengers et aux Tuche n’ont que faire d’un film antédiluvien qui, de plus, risque de les ennuyer par sa langueur volontaire. La vraie cinéphilie est une (agréable) maladie qui se fait de plus en plus rare… 

 

 

Ébloui par la maestria d’Hitchcock, Jacob reprend la formule erronée qui veut que le baiser entre Cary Grant et Grace Kelly dans Les Enchainés soit le plus long du cinéma. Eh bien non. Non seulement le « record » a été par la suite battu en brèche par le baiser de L’Affaire Thomas Crown (Steve McQueen – Faye Dunaway) mais, de plus, le vrai baiser le plus long est antérieur aux Enchainés. Il s’agit de celui que s’échangent Regis Tommey et Jane Wyman dans You’re in the Army Now (1940) ! Certes, tout cela relève du détail voire de la broutille.

En réalité, cette partie dictionnaire du cinéma d’auteur, bien que précise, n’apporte pas grand-chose si ce n’est qu’elle nous permet de mieux connaitre les gouts et les penchants de Gilles Jacob.

 

Gilles Jacob

 

Le second dictionnaire (bien entendu, ils s’entremêlent) parait plus intéressant car traitant véritablement du Festival de Cannes dont Jacob en fut longtemps le délégué général avant d’en être le président. Cette fois on plonge au cœur du sujet. Le lecteur découvre certains fonctionnements de cette institution si souvent décriée et récolte de savoureuses anecdote — même si Jacob avait été plus prolixe dans son livre de mémoires (La Vie passera comme un rêve, Robert Laffont, 2009). 

Bien sûr, cet espace est réservé aux Auteurs (avec un grand A). N’y cherchez pas la moindre ligne sur Georges Lautner, Francis Veber ou Henri Verneuil. Heureusement que Billy Wilder est présent pour sauver l’honneur. Au passage on oublie que le festival présenta, en compétition, des films dialogués par Michel Audiard, soit joué par Louis de Funès (Carambolages, 1963), soit par le tandem Belmondo-Ventura (100 000 dollars au soleil, 1964) ; colossales erreurs qui furent rapidement corrigées par la suite. 

 

Quentin Tarantino, le réalisateur de « Pulp Fiction », fait le spectacle sur le tapis rouge avec son actrice fétiche Uma Thurman

 

À lire cette partie strictement cannoise de ce dictionnaire amoureux, on comprend mieux l’intérêt et l’attrait de ce festival. En dépit de tout le mal que l’on peut en dire (et certains ne se sont pas gênés !), il est indéniable qu’il a aidé à faire connaitre et reconnaitre des cinéastes et des films importants… dans leur domaine. Car si le cinéma ce n’est pas seulement La Ballade de Narayama ni Chroniques des années de braise, ce n’est pas non plus seulement Black Panther et Fast and Furious. Comme en littérature, s’il n’y avait que les uns ou les autres, cela réduirait non seulement le choix mais aussi l’ouverture d’esprit. De nombreux films cannois (mais pas tous !) méritent d’être vus et revus. Un festival qui donne une Palme d’Or au Guépard mais aussi à M.A.S.H, à Padre Padrone mais aussi à Pulp Fiction mérite un certain respect. Et avec beaucoup de franchise et d’honnêteté, Gilles Jacob est le premier à regretter les ratés du festival (films de grande qualité non sélectionnés, non primés ou, à l’inverse, films médiocres récompensés).

Ce dictionnaire-là contient une foule d’informations et doit être lu par toute personne aimant le cinéma au sens large.

 

Philippe Durant

 

Gilles Jacob, Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, Plon, 804 pages, avril 2018, 25,50 euros

 

PS : Au fait, je n’ai toujours pas compris pourquoi à Cannes on donne des palmes ? Serait-ce un jeu de mots palmipède à la gloire des canards pas toujours sauvages ?…

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