La clinique de la dignité, les impasses de Cynthia Fleury

Dans cet essai, Cynthia Fleury se donne pour but de nous offrir la notion de dignité comme fondement de nos apports sociaux. Philosophe et psychanalyste de formation, elle intervient sur toutes les ondes comme dans la presse. Sa thèse de doctorat en philosophie, dirigée par Pierre Magnard, un spécialiste de la pensée catholique, a porté sur « la métaphysique de l’imagination ». Parmi ses nombreuses activités et responsabilités, elle a été nommée en 2013 membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), elle siège au comité scientifique du Haut Conseil des biotechnologies, a été administratrice externe au conseil d’administration de Suez Environnement, sans doute pare qu’elle est sensible à la question écologique.

Si elle nous propose une clinique de la dignité, c’est qu’elle constate « la multiplication des formes dégradée de dignité dans les institutions et les pratiques sociales ».

La notion de dignité

Dans une première partie, Cynthia Fleury tente de donner ses lettres de noblesse à la notion de dignité, elle cherche à en retrouver les traces dans la philosophie, la bioéthique. Néanmoins elle reconnait l’origine religieuse de ce principe moral :

« Les théologiens ont toujours défendu une conception de la dignité humaine inséparable de l’idée de créature à l’image de Dieu, tenant précisément sa valeur de cette filiation ».

Si la Déclaration des droits de l’homme de 1948 l’invoque, ce n’est qu’au nom d’un fondement du droit. Voici son premier paragraphe :

« Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

La formulation renvoie aux rapports sociaux de l’époque : dans un jeu de compromis, on évoque la dignité pour ne pas fâcher un christianisme en déclin, et les droits pour en référer à la démocratie. Cynthia Fleury est obligée de le reconnaître : la notion de dignité est rarement explicitée, alors qu’elle voudrait en faire non seulement un fondement inspirant le droit mais un principe qu’elle souhaite agissant. Elle s’appuie notamment sur des auteurs comme James Baldwin et Franz Fanon pour décrire l’indignité du racisme et du colonialisme… sans en rechercher les causes économiques et politiques. On en reste à conclure que ce type de rapport de domination, c’est mal…

Un évitement du politique

Cynthia Fleury pense qu’elle contribue à « formuler autrement la question sociale », elle se déclare en accord avec les revendications qui s’expriment en termes de droit d’être « identitaires ». On pourrait arguer du fait que ces mouvements que l’on connait aujourd’hui de par le monde, que l’on qualifie parfois du terme généraliste de « woke » souffrent d’une méconnaissance de la dimension économique, et d’un refus de considérer les rapports de force qui sont au cœur du politique. Notre auteur refuse de voir que, sans bras armé, la justice qu’elle invoque ne peut que gesticuler. En des termes « antédiluviens » parce que marxistes, on pourrait dire qu’elle en reste au niveau de la superstructure et sous-estime de ce fait le rôle décisif de l’infrastructure : car la morale et l’appel à la justice ne suffisent pas pour transformer le monde. Les émeutes de l’indignation n’ont jamais fait une révolution.

La morale et la psychologie individualiste méconnaissant la dimension sociale qu’elle pratique ne sont pas décisives quand elles ne s’accompagnent pas d’une analyse économique et politique. En ce sens, le livre de Cynthia Fleury est dangereux dans la mesure où elle nous conforte dans l’ignorance; voire le refus, d’une nécessaire réflexion socio-politique. Elle est en ce sens un symptôme de notre temps, de ce que devient notre époque depuis l’effondrement de la gauche qui s’inspirait d’une façon ou d’une autre du marxisme, lequel reste une approche du fonctionnement social du capitalisme que n’importe quel économiste prend aujourd’hui forcément en compte ; pas Cynthia Fleury.   

On pourrait également distinguer le registre du principe moral de celui des valeurs républicaines. Les valeurs de Liberté, d’Égalité et de Fraternité ont l’avantage de renvoyer à des droits clairement définis et partagés en démocratie. De plus, l’égalité et la fraternité impliquent une reconnaissance intégrale de chaque citoyen, donc de sa dignité. Évincer les valeurs républicaines au bénéfice d’une morale de la dignité semble superflu ; sauf à vouloir remplacer une vision politique socialiste par un humanisme libéral…

Mathias Lair

Cynthia Fleury, La clinique de la dignité, Gallimard Folio « essais », février 2025, 306 pages, 8,50 euros

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