Stanislas Petrosky, L’Affaire de l’île Barbe

Stanislas Petrosky est connu pour son personnage récurrent L’Embaumeur, à l’humour et au charme décapant, dont plusieurs auteurs se sont emparés dans un esprit collectif similaire à celui du Poulpe. Il publie avec L’Affaire de l’île Barbe un roman policier à la facture plus classique et construit comme un true crime autour d’un assassinat particulièrement marquant.

Lyon, 1881

Le corps d’une femme est retrouvé, en plusieurs morceaux, sur les bord de la Saône en ce mois de janvier 1881 particulièrement froid. L’île Barbe ne s’illustre pas que par son abbatiale magnifique et l’attrait et le calme que les peintres y trouvent. On y tue aussi ! L’enquête va être lente, confuse, sans indice et avec des coupables idéaux parce que basanés, la police faisant montre à l’époque d’une certaine brutalité… La lenteur, et l’installation dans une atmosphère à la Simenon, la profondeur des personnages, tout emporte le lecteur.

C’est le professeur Alexandre Lacassagne (1843-1924) éminent médecin légiste, fondateur de l’anthropologie criminelle et qui a fait de Lyon, un temps, le centre de la criminologie française, qui doit étudier le corps. Il est assisté par son apprenti  Ange-Clément Huin, ancien Apache selon la terminologie du début du XXe siècle, voyou régnant en bande sur les trottoirs de Belleville. Ce repenti connaît la rue, il sera parfait pour enquêter, comme le fut Vidocq. A eux deux ils vont déjouer les fausses pistes, essayer de montrer à la police que d’autres manières de faire peuvent concourir à la révélation de la vérité, et accompagner le lecteur dans une reconstitution historique de grande qualité.

True crime

L’Affaire de l’île Barbe est le roman d’un fait divers, et sa particularité est qu’il est quasi intégralement constitué de faits réels. Le reste, qui fait sa réussite, c’est tout l’art de Petrosky ! Il maîtrise la manière de s’emparer de cette histoire criminelle vraie, sans la pervertir (l’identité de la victime n’a jamais été connue, elle ne sera pas inventée ici) et d’en faire un roman plus qu’un documentaire. Pourtant le travail documentaire, la recherche dans les archives et la volonté de restituer la vérité d’un moment, d’une époque, d’une ville, impressionnent. On rêverait (presque) de s’embarquer sur le bateau mortuaire, cette morgue flottante bien réelle qui a été mise en place temporairement à partir de 1842 pour assainir la ville, et qui a perduré.

Il y a dans ce roman un cousinage avec L’Aliéniste de Caleb Carr, notamment la transmission des savoirs et le côté innovant des méthodes, mais aussi l’ambiance générale très prenante et les personnages crédibles et attachants. Pour ceux qui ne cherchent pas l’adrénaline creuse, la violence gratuite, le gore ni l’abject, mais un roman vrai et à la tonalité juste, une voyage historique et une découverte des prémices de la criminologie moderne, L’Affaire de l’île Barbe est le roman parfait.

Loïc Di Stefano

Stanislas Petrosky, L’Affaire de l’île Barbe, Gallimard, “folio policier”, avril 2024, 208 pages, 8,30 euros

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