L’Âme du fusil, le roman noir à la campagne d’Elsa Marpeau

La « marque » Marpeau

On a connu Elsa Marpeau, créatrice de la série Capitaine Marleau pour la télévision, avec des romans noirs comme Les Yeux des morts (Gallimard, 2010), Et ils oublieront la colère (Gallimard, 2015) ou l’exceptionnel Son autre mort (Gallimard, 2019). À chaque fois, elle interroge les âmes et les corps avec justesse et âpreté, livrant des romans fins et souvent hantés par le passé. On peut ainsi affirmer qu’elle est l’un des écrivains les plus doués de sa génération et une des plumes les plus acérées du roman noir français. L’âme du fusil est, on va le voir, une nouvelle preuve de son talent.

Un vieillard et ses fantômes

Quelque part, un homme nommé Philippe, âgé, prend la plume pour raconter son histoire à son neveu Pierre. Et son récit nous transporte à notre époque. Philippe habite à la campagne, il est au chômage et c’est sa femme Maud qui permet au foyer de subsister. Il se prépare à acheter un fusil pour son fils Lucas afin de lui faire découvrir la chasse. Car Philippe est chasseur, comme son père avant lui et il veut transmettre cette passion, son héritage à Lucas, avec qui la distance s’est creusée. Un jour, il remarque qu’il a un voisin et va à sa rencontre :

Ce n’était pas un sanglier, c’était un homme.

Et, je ne sais pas comment le dire, un homme nu. Jeune et nu.

Et il est sortir du bosquet et s’avançait vers l’eau. J’ai cru être en proie à une hallucination : la maison du lac restait inhabitée depuis plusieurs mois, cet homme était comme Adam avant d’être chassé du paradis, et il allait se baigner dans les marais, emmêlés de racines et d’insectes. 

Fasciné, Philippe le regarde nager nu. Il finit par rentrer chez lui, retrouver son fils mutique et sa femme, à qui il fait l’amour pour chasser l’image de son voisin. Mais l’obsession dure. Philippe soudoie le facteur et lit le courrier de l’inconnu du lac. Il découvre qu’il s’agit d’un certain Julien, un parisien. Un parisien fait toujours jaser dans le coin. Il finit par l’inviter chez lui avec ses amis. Julien fascine, intrigue, agace. Personne n’est indifférent, même Maud… Tous les ingrédients sont en place pour un drame qui bouleversera la vie de Philippe.

Du grand roman noir

Voici un roman qui secoue. On trouve beaucoup de thèmes ici : la virilité et l’homosexualité latente, la relation père/fils, les rapports conflictuels entre Paris et les ruraux (typiquement français). Le rapport au corps aussi, comme souvent chez Elsa Marpeau. Pas d’enquête ici, juste la confession d’un homme qui cherche, peut-être sans le savoir, à passer le témoin à son neveu (oui, ça se termine mal pour Lucas).

Voici un roman noir où tout se joue dans l’ambiance, l’atmosphère. On ne peut que vous recommander de lire L’Âme du fusil d’Elsa Marpeau.    

Sylvain Bonnet

Elsa Marpeau, L’Âme du fusil, Gallimard « la noire », août 2021, 192 pages, 16 eur

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