Il nous fallait des mythes, l’usine révolutionnaire des représentations

Historien renommé, Emmanuel de Waresquiel s’est fait connaître d’un large public par ses biographies de Talleyrand (Fayard, 2003), Fouché (Tallandier, 2014) et plus récemment Jeanne du Barry (Tallandier, 2023). Il revient ici avec Il nous fallait des mythes, une façon de revisiter les mémoires et les héritages de la Révolution française dont il est un des meilleurs spécialistes.

Des symboles et de leur manipulation

Le livre recense des moments jugés fondateurs, des lieux, des symboles de la Révolution et analyse ensuite leur utilisation par les régimes successifs. Ce faisant, ils finissent par ne plus avoir grand-chose à voir avec la perception qu’en avaient les révolutionnaires ! ainsi, on en finit pas de prendre des Bastille alors que l’évènement du 14 juillet 1789 n’a qu’une portée limitée à l’époque, la Bastille s’étant de plus rendue aux insurgés. Pour Emmanuel de Waresquiel, la Révolution s’est beaucoup plus joué le 17 juin 1789 lorsque les députés du Tiers-état se sont proclamés en assemblée nationale, l’inaction du Roi actant le transfert de souveraineté de sa personne vers ces représentants du peuple. Quant à Valmy en septembre 1792, c’est une grande canonnade plus qu’une bataille mais l’évènement a été célébrée comme la victoire de la nation en armes pour exalter le patriotisme blessé par la défaite de Sedan face à la Prusse en 1870. Waterloo est une vraie défaite et finit par incarner la résistance glorieuse du peuple face aux rois européens… Waresquiel démontre ici avec brio comment ces mythes se sont transformés au fil du temps, loin de leur signification initiale.

Le grand évènement de notre Histoire

Au fond ces mythes nés du moment révolutionnaire démontrent à quel point notre société est toujours liée à la Révolution. C’est la Révolution qui a accouché de la France politique contemporaine. Pour Waresquiel, nous en rejouons parfois les scènes sans nous en rendre compte (car la culture historique régresse dans la société) : ainsi lors de la crise des Gilets jaunes où Macron a été caricaturé en Louis XVI et certains ont rêvé de mener le président à la guillotine, la fameuse « sainte guillotine ». La crise politique actuelle prend en tout cas une singulière couleur à la lecture de ce très bon livre car la Révolution est née, beaucoup l’ont oublié, d’une crise budgétaire et d’une dette abyssale.

Sylvain Bonnet

Emmanuel de Waresquiel, Il nous fallait des mythes, Tallandier, septembre 2024, 448 pages, 24,60 euros

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