Emmanuel Pierrat, L’Affaire Céline

Louis-Ferdinand Céline n’en finit pas de faire parler de lui. Qu’on ai retrouvé une pleine malle de manuscrits égarés depuis sa fuite ne suffisait pas : il fallait qu’il y ai conflit entre céliniens, et entre héritiers ! Les petites mesquineries et les vraies trahisons, Emmanuel Pierrat les expose dans L’Affaire Céline.

Un lourd héritage

Les céliniens qui ont suivi tout cela depuis l’annonce fantastique de la réapparition des pages perdues n’apprendront pas grand chose sur les textes eux-mêmes. Le merveilleux petit livre de Jean-Pierre Thibaudat, Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé, nous avait déjà appris l’essentiel sur ces milliers de pages. L’intérêt du récit d’Emmanuel Pierrat, c’est son côté humain, et judiciaire. Car les protagonistes se connaissent tous, le milieu des céliniens n’est pas si vaste. Entre avocats et libraires, chercheurs et universitaires, la même passion, la même révérence. Mais les intérêts colossaux en jeu vont créer des dissensions irréconciliables.

Emmanuel Pierrat est contacté par Thibaudat, comme célinien notoire mais aussi, surtout, comme avocat spécialiste du droit de la propriété intellectuelle. D’abord suspicieux, il est vite effaré devant l’immensité du trésor, puis totalement conquis. Il va tout faire pour ce trésor littéraire. Ces pages doivent en effet rebattre tout le corpus célinien, remplir les vides, redéfinir les bases, et justifier ou démentir toutes les hypothèses. Comme si 50 ans d’études, une quantité incroyable de livres, d’articles, de travaux universitaires mêmes allaient devoir être reconsidérés…

Une histoire d’argent

La question de la propriété intellectuelle, donc du droit d’imprimer et de faire beaucoup d’argent sur cet héritage, se pose. François Gibault, l’avocat de feue Lucette Destouches née Almanzor, veuve Céline, pensait régner en seul maître (alors même qu’il n’avait jamais rencontré le romancier). Mais autour de Lucette tournait également une jeune femme, ancienne élève de la professeur de danse devenue un peu sa dame de compagnie, et qui sera désignée par testament cohéritière, Véronique Chovin, dont l’intérêt va d’abord être mince, puis financier : les sommes colossales dues à l’Etat au titre du leg forcent la réflexion.

Ce sont essentiellement les petites médiocrités humaines, liées à un si grand objet, qui ressortent de ce récit. Si Emmanuel Pierrat n’hésite jamais à rappeler qu’il est le conseil de tel ou tel acteur du dossier (1), il montre que le trésor a faire tourner bien des têtes, et oublier bien des serments… Gibault avait fait de Pierrat son protégé, il ne lui adresse plus la parole et, même, dépose une plainte pour recel contre lui !

Le dessous de la petite histoire

On apprend pourquoi la révélation s’est fait dans Le Monde et non pas dans Libération, journal où avait officié des années durant Thibaudat… On apprend comment Pierrat et Thibaudat on été convoqué par la police pour le vol et le recel de manuscrits dont ils avaient eux-mêmes signalé l’existence et proposé de restituer… On apprend les promesses et les tractations autour de la publication des textes retrouvés… On apprend encore beaucoup de petites anecdotes autour de cette histoire qui de littérature tombe dans le mercantilisme le plus vil. C’est aussi une page contre les héritiers, qui ne connaissent ni ne comprennent rien aux œuvres, sinon ce qu’elles peuvent leur rapporter. Il y a un petit côté gazette dans L’Affaire Céline, Emmanuel Pierrat s’évertuant à raconter les dessous des relations des uns avec les autres. Ce n’est donc pas la “véritable histoire des manuscrits retrouvés” mais plutôt “la véritable petite histoire de la révélation de l’existence des manuscrits”.

Le plus intéressant, pour les céliniens, c’est sans doute la question posée sur le “dossier juif” qui n’apparaît plus nul part. L’héritière Véronique Chovin craindrait qu’on prit Céline pour un antisémite… alors qu’il l’est notoirement… Ce dossier réapparaîtra-t-il un jour ? Pour le reste, les premiers livres sont parus (Guerre, Londres) avec un très grand succès de librairie, ou sont en cours (La Volonté du roi Krogold est annoncé pour le 27 avril 2024).

L’Affaire Céline restera comme un témoignage de l’intérieur, mais anecdotique, en périphérie d’un grand événement littéraire.

Loïc Di Stefano

Emmanuel Pierrat, L’Affaire Céline, Ecriture, mars 2024, 250 pages, 21 euros

(1) C’est un peu le côté agaçant du livre, ainsi que les nombreuses répétitions. Mais peut-être cherche-t-il à redorer son blason après certaines affaires judiciaires qui ne l’honorent pas ?

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