Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé

Le petit monde célinien a tressailli à l’été 2021 quand la découverte d’une malle pleine de manuscrits. Des lettres, un fouillis de papiers, et un vrai trésor : plusieurs romans inédits. Céline avait lui-même déclaré qu’on lui avait volé ses œuvres, entre sa fuite au Danemark et son retour en France. C’est le journaliste Jean-Pierre Thibaudat, qui tenait alors la rubrique théâtre pour Libération, qui « hérite » de ce trésor.

Une histoire d’honneur

Soucieux de respecter la parole donnée, Thibaudat ne va jamais révéler l’origine de cette découverte majeure. Il attendra un an, par ce livre, et avec l’accord de la famille concernée.

Il s’agit d’une famille honorablement connue, un grand résistant à qui le logement de Céline a été attribué alors que l’écrivain était en exil. Les meubles et autres affaires de Céline sont mis au garde-meubles, et on lui en propose la restitution contre le paiement des frais d’entreposage, ce que Céline refuse. Quand aux manuscrits, mis dans une malle, elle suivra le déménagement jusqu’à être retrouvée avec un étrange sentiment : il n’est pas question de gagner un euros sur les écrits de cet écrivain antisémite. Il faut les donner au domaine public, et donc attendre la mort douce Lucette Almanzor épouse Destouches (1912-2019). On a vu tant d’héritier s’arroger le droit de détruite la correspondance, les journaux intimes, les œuvres mêmes, pour lisser le portrait de leur principales voire unique source de revenus…

Au bout de quinze ans, donc, Thibaudat fait connaître ce trésor à maître Emmanuel Pierrat, spécialiste reconnu de la propriété intellectuelle et lui-même émérite célinien. Pierrat organise rapidement un rendez-vous en son étude avec Maître François Gibault, ayant-droit de Céline, lequel vient au rendez-vous avec une dame qui s’avère être l’autre ayant-droits. Et dès lors l’affaire se complique et se judiciarise !

Saleté d’ayant-droits

Tout le travail qu’il a fait pendant quinze ans a été réduit à rien, dès que les ayant-droits ont mis la main sur le magot. Car, c’est la thèse de Thibaudat, lui qui a toujours refusé de gagner un sous avec cette mânes il sait que les héritiers se sont pressés en procédures judiciaires pour que les textes soient publiés avant que les droits n’entrent dans le domaine public. C’est naturellement Gallimard qui publie d’abord Guerre, puis Londres, dans l’attente des autres textes (dont la très attendue volonté du roi Krogold ) et que les volumes de la Pléiades soient remaniées (loué l’inestimable travail d’Henri Godard !).

Thibaudat reproche essentiellement deux choses. D’abord l’accaparement par les ayants-droits de trésors littéraires nationaux qui devraient être versés dans un fond (Bnf ou Imec) pour que les chercheurs puisse y avoir un libre et complet accès. Ensuite l’édition fautive selon lui, parce que les textes sont tronqués, présentés comme complet quand ils ne le sont pas, et qu’une partie des transcriptions est sujette à caution.

Il reproche également la disparition pressentie du dossier juif, constitué de notes et de coupures de presse, où Céline nourrissait sa haine antisémite. Thibaudat craint un lissage de Céline, grand écrivain avant d’être antisémite, de manière accessoire à l’œuvre, alors que cette haine lui est consubstantielle. Dans quel coffre, bien à l’abri du regard honnête des grands chercheurs et vrais spécialistes ce dossier a-t-il été caché ?

Quoi qu’il en soit de ce débat de spécialistes, Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé est la précieuse histoire d’un homme qui a su préserver le trésor, s’en délecter en homme soucieux de le valoriser, et qui dans la contrainte en a été dépossédé. Il lui reste ce tête-à-tête inoubliable, plus de quinze ans seul avec les pages du maître.

Loïc Di Stefano

Jean-Pierre Thibaudat, Louis-Ferdinand Céline, le trésor retrouvé, Allia, octobre 2022, 126 pages, 9 euros

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