« Engrenages » de David Mamet réédité en DVD
Prix du meilleur scénario et du meilleur film à la Mostra de Venise en 1987, Engrenages (House of Games) de David Mamet vient de ressortir en DVD/Blu-ray chez ESC. L’histoire d’une psychanalyste de grande renommée, Margaret Ford (Lindsay Crouse), qui ne vit que pour son travail et qui décide un jour de « s’encanailler » en plongeant dans le monde du jeu, se faisant complice d’un arnaqueur (Joe Mantegna).
David Mamet est aujourd’hui quelque peu oublié. Dramaturge et essayiste très réputé dans les années quatre-vingt, scénariste de Verdict de Sidney Lumet et des Incorruptibles de Brian De Palma, il n’a pas su « tenir la distance » dans les années 2000. Mais qu’un auteur américain aussi adulte soit désormais relégué aux oubliettes en dit davantage sur notre époque que sur son éventuelle « perte d’inspiration ». Car il est évident, au vu de son théâtre ou de son cinéma, que Mamet ne s’intéresse absolument pas aux goûts du public adolescent, qu’il n’est pas fait pour ça. A bien des égards, il aurait été plus à son aise dans les années quarante, d’autant que la plupart de ses œuvres sont de brillantes variations autour du film noir, avec pour thème commun la corruption.
Double jeu
Mais malgré cette noirceur, Engrenages dispense un réel plaisir, qui provient de la rigueur absolue avec laquelle Mamet raconte son histoire. Pas un bout de gras ici. Si vous aimez la grandiloquence, le bruit et la fureur, passez votre chemin ! Ce maître-conteur épouse remarquablement la méticulosité feutrée de ses personnages, aussi bien celle de la psychanalyste, qui réfléchit constamment au meilleur angle d’approche pour soigner ses patients, qu’à celle de l’arnaqueur, qui réfléchit tout autant au meilleur angle d’approche pour tromper en douceur son « client ».
Et si l’on ne s’ennuie pas une seule seconde au cours du film, c’est parce que l’on sent que cette méticulosité est suspecte, que cette patience est arachnéenne. Le don d’observation de Mamet et de ses personnages cache une méfiance et une peur de l’autre qui engendrent une excitation paradoxale, l’excitation du danger. Margaret est en effet une femme extrêmement intelligente, mais qui ne connaît rien à la vraie vie. Et la vraie vie, pour elle, devient cette maison de jeux un peu louche dans laquelle elle aime pénétrer à la nuit tombée, comme dans une caverne mystérieuse. Cependant cette « vraie vie » est un leurre, elle repose sur une petite bande d’arnaqueurs qui a tout d’une troupe théâtrale, avec ses répétitions, ses jeux de scène et ses répliques déjà prêtes. De sorte que le vertige nous saisit en même temps que l’héroïne : si la vraie vie n’est pas dans notre profession, où l’on joue un rôle, si elle n’est pas dans nos divertissements du soir, où règne l’illusion, où est-elle ?
Artifice
On pourra reprocher à David Mamet d’être trop mécanique, trop didactique, dans sa volonté de démontrer que le monde est un théâtre mais, d’une part, ce théâtre dans le théâtre est absolument brillant, avec des acteurs en tous points parfaits, d’autre part cette démonstration rigide correspond profondément à l’esprit frigide de la blonde héroïne, dont la vie est précisément devenue mécanique. Une héroïne trop consciente de l’artificialité des rapports humains et qui voudrait se sentir enfin vivante, quitte à être trompée, quitte à se brûler.
Claude Monnier
DVD/Blu-ray Engrenages (House of Games, 1987) de David Mamet avec Lindsay Crouse et Joe Mantegna. Editeur : ESC. Durée : 101 min. Format : 1.85. Supplément : Instinct et manipulation, entretien avec Mathieu Macheret (21 min). Disponible depuis le 4 septembre 2018.
Remerciements à Emmanuel Grésèque et Thifaine Sallin.