Le bougon gentilhomme de Valérie Bénaïm & Sandra Freeman, Bacri du cœur
En d’autres occasions, j’ai déjà évoqué mes rencontres avec le sieur Bacri. Comme il s’agit d’un texte ancien, que vous avez oublié (ou que vous n’avez pas lu, ce qui serait impardonnable), je vous recolle un paragraphe tel quel :
J’ai le souvenir de certaines interviews à la limite du pénible. Lors d’un dîner à l’occasion d’Un air de famille, il m’avait renvoyé toutes mes questions à la figure avec la maestria et la puissance d’un champion de baseball. J’avais fini par comprendre que j’étais un parfait crétin et noyais ma médiocrité dans un verre de Cheval Blanc. Les rencontres ultérieures furent plus reposantes mais jamais complètement détendues, y compris lors de la sortie du Goût des autres où, pourtant, Bacri était souriant.
Il m’a toujours paru que ce comédien de talent détestait les interviews et encore plus les journalistes. Si j’avais su avant qu’il adorait Lino Ventura, j’aurais tenté de lui glisser dans le creux de l’oreille que j’en étais le biographe, cela l’aurait peut-être détendu. Je dis bien « peut-être »… Pour Bacri, répondre à des questions était un calvaire. Il ne se doutait pas que lui poser des questions était également un calvaire.
un beau miracle
Heureusement, par un beau miracle comme seul le temps sait les arranger, en 2012 je découvris un Bacri charmant et charmeur avec lequel j’ai passé un long moment pour une passionnante entrevue. C’était autour d’une table. C’était aussi à l’occasion de Cherchez Hortense, œuvrette qui m’avait fort peu enthousiasmé. Ce jour-là — après moult tentatives — j’ai, enfin, découvert l’authentique Bacri. Je ne le regrette pas, bien au contraire.
Hélas, je n’eus plus l’occasion de le côtoyer et la camarde vient nous l’arracher par un mauvais jour de janvier 2021. Il y plus d’un an, déjà… Heureusement, deux journalistes ravivent sa flamme dans une biographie, la première le concernant. Elles s’efforcent de reconstruire la personnalité de ce comédien peu commode mais dont nul n’a jamais nié le talent. Et elles y réussissent à grand renfort d’interviews de personnalités connues ou moins connues qui l’ont fréquenté ; dont certains depuis son enfance cannoise.
Tout est là, donc, suffisamment détaillé et étayé pour comprendre et apprécier le parcours d’un monsieur qui quitte la douce quiétude d’une banque pour le métier ingrat et aléatoire de comédien. Il a bien fait ; mais quand on est un inconnu débarquant à Paris avec un accent pied-noir à couper au couteau, on peut se faire des cheveux blancs ou une calvitie précoce.
L’absence d’Agnès Jaoui
Tout est là ? Pas tout à fait. On sent bien qu’Agnès Jaoui n’a pas souhaité participer à cette aventure. Mais cela n’handicape pas l’ensemble. On retrouve le Bacri tel qu’il s’est fait connaître avec ses coups de cœur et ses coups de gueule. Avec son franc-parler et ses sautes d’humeur qui peuvent le conduire à se fâcher avec un ami de très longue date. On le retrouve aussi, bien entendu, dans ses prises de position politiques. L’homme était entier, il ne divisait pas ses préférences.
D’après les auteures, Jean-Pierre Bacri méprisait le mépris. Le souvenir de certaines de ses attitudes vis-à-vis de la presse me laisse dubitatif. Et, pour démonter le titre de cet ouvrage, il fut indéniablement un bougon mais pas toujours un gentilhomme. Mais c’est là la réussite d’une biographie : restituer un homme tel qu’il a été et non l’enfermer dans une image d’Épinal au sein de laquelle tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Bacri était un monsieur, avec les honneurs et les dérives que ce terme comporte.
Il méritait, surtout, d’être mieux connu et cette biographie y aide beaucoup.
Si je devais mettre un bémol — et je vais le faire puisque je n’ai rien d’un gentilhomme — je regretterai non point le fond de cet ouvrage (très documenté) mais sa forme. Le style m’a paru parfois un peu lourd avec des répétitions de mots qui laissent supposer que personne n’a relu le manuscrit (ou alors trop vite). Dommage car Bacri était un amateur de belles lettres et certains paragraphes ne parviennent pas à se hausser jusqu’à cette ambition. Bien entendu, je passe sous silence (odieux pléonasme) les quelque bourdes qui traînent de-ci de-là dont celle classique — et pourtant évitable — de Francis Veber qui devient Weber. À ma connaissance, Jacques Villeret n’est jamais devenu Willeret ni Voltaire, Woltaire…
Philippe Durant
Valérie Bénaïm et Sandra Freeman, Jean-Pierre Bacri Le Bougon Gentilhomme, L’Archipel, Janvier 2022, 259 pages, 18 eur