Histoire d’un ogre, c’est l’histoire d’un monstre…

Ce serait une bluette, un conte voltairien écrit par un candide, mais à fleuret moucheté : lorsqu’on s’attaque à un ogre, il faut se méfier de ses rottweilers, sa meute en robe noire qui au moindre faux pas vous conduira direct du prétoire à l’échafaud. On ne nommera donc jamais l’ogre en question. D’autant plus qu’il est à la mode ces temps-ci. Bien qu’ayant pris sa retraite, on le pense aux manettes. C’est un grand médias-tueur, entrepreneur en mentalité publique. Grand manieur de micros, d’écrans, et de papier, il touche à tous les postes. C’est notre Berlusconi à nous. En tous biens tous honneurs : il tient à ce que les traditions soient respectées ; par les autres, s’entend. C’est aussi un grand sous-marinier, il susurre à l’oreille de tous les droitiers.

Finance, quand tu nous tiens !

Erik Orsenna nous écrit là une fable sur l’appétit financier. Où dit-il, l’argent est le meilleur des serviteurs, mais le pire des maîtres. De ne plus être un moyen, mais d’être devenu une fin, la monnaie nous lance dans l’infini. Telle est la religion de l’ogre : encore et toujours plus, encore… Orsenna nous explique comment, avec seulement quelques actions, 5 à 10% d’un capital, on peut par un habile montage et un jeu d’alliances, rapter une entreprise. Non pour devenir capitaine d’industrie, mais boucher avec revente à la découpe. Ne pas confondre l’industriel et le financier. L’industrie est certes méritante, elle est la santé de notre beau pays, mais poussive financièrement… Illustration : un des frères de l’ogre a acheté une forge pour 800 000 petits euros, pour la revendre trois ans plus tard pour 170 millions (source Wikipédia / Radio France, 2017). Bon sang ne saurait mentir ! Qui dit mieux ? À ce compte-là, se contenter de produire des biens et services, c’est d’un naïf !

Un conte contemporain

Notre Erik, académicien, anciennement chuchoteur de présidents, retrace donc, par allusions et jeux subtils, le parcours d’un ogre, depuis un moulin sur l’Odet, en Bretagne, jusqu’à la villa Montmorency, un quartier privé situé au sein du 16e arrondissement de Paris où résident, sous protection rapprochée, des personnalités du show-business, du monde politique et des affaires. Curieux comme une fouine, notre narrateur cherche à en percer tous les secrets, il nous en divulgue quelques-uns.

Drolatique, léger, facétieux comme il sait l’être, Orsenna nous livre quelques informations de première bourre. Ce conte est de salut public, d’une cinglante actualité. Si un certain Éric Ciotti (sans K !) l’avait lu, peut-être n’aurait-il pas versé dans le fossé ?

Mathias Lair

Erik Orsenna, Histoire d’un ogre, Gallimard folio, juin 2024, 192 pages, 7,40 euros

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