Sylvain Fort, Saint-Exupéry penseur

Initialement paru sous le titre Saint-Exupéry Paraclet (Pierre-Guillaume de Roux, 2017), Saint-Exupéry penseur de Sylvain Fort reparaît dans la collection « folio essais ». C’est un regard très intéressant, transversal, sur l’œuvre de l’écrivain en humaniste.

Un éternel enfant

L’ébahissement enfantin — pas infantile — est la marque de fabrique de Saint-Exupéry. C’est de ce point de départ qu’une machine à penser le monde se met en place. Et c’est un mode de penser qui permet à la fois de montrer les faux-semblants du monde des adultes, ainsi que sa cruauté et son inhumanité. Si l’on a pu dénigrer Albert Camus en le traitant de philosophe pour collégiens, l’a priori simplisme de la pensée de Saint-Exupéry a engendré bien du mépris. C’était mal lire, volontairement ou non. Si la simplicité est le principe de l’art, alors l’art de Saint-Exupéry est grand, parce qu’il est simple, et avec une portée universelle. Et quelle que soit la forme d’écriture qu’il emprunte, son attitude ne varie guère : il fonde son art sur l’émerveillement.

Mais l’élan fondateur, c’est la colère. Celle d’observer combien l’homme ne varie pas de ses tares, n’entend pas la nature lui crier ses crimes, et ses contemporains pleurer de ce qu’il est lui-même devenu. L’homme est un être vil, âpre au gain et à la colère. Le seul moyen d’échapper à ce monde, c’est de le remodeler. Seule formule magique pour y parvenir, le « on aurait dit ». Ainsi l’enfant non encore abimé par le monde des adultes, tel celui de Rousseau, est un miroir dans lequel voir le possible d’un homme non dénaturé.

un humanisme

J’ai besoin d’aller là où je suis pur.

L’humanisme se définit par la foi inaliénable qu’on porte aux capacités de l’homme à s’améliorer et à le placer au cœur des préoccupations. En ce sens, l’œuvre de Saint-Exupéry résulte presque d’un humanisme forcené, d’une foi immodérée en l’homme. Son Petit Prince, devenu emblématique, n’est pas seul. L’œuvre est étudiée dans son ensemble et avec cette perspective de comprendre le mouvement global qui va de l’homme réel à l’homme possible, voire idéal. Entre les deux, il y a l’effort pour essayer de devenir cet homme extrait du mauvais rêve de la modernité pour devenir l’autre, c’est-à-dire lui-même, c’est-à-dire tout à fit un homme. C’est le projet de Citadelle, cette œuvre inachevée et paradoxale, comme de Vol de nuit. C’est le projet de toute l’œuvre de Saint-Exupéry.

Pour passer de la colère à l’humanisme, de l’enfant irascible à l’enfant émerveillé, redevenu naïf, Saint-Exupéry à prit, littéralement, de la hauteur. Pour Sylvain Fort, c’est l’expérience de pilote qui lui a ouvert cette voie. Et pilote de l’aéropostale, qui plus est, chargé de faire le lien entre les hommes. Bien qu’elle revête une forme d’analyse symbolique, voire onirique, on ne peut s’empêcher de trouver cette lecture de la vie de Saint-Exupéry fort belle.

Rêvant l’œuvre du romancier, Sylvain Fort le revalorise, et d’un rêveur pour enfantillages en fait un penseur humaniste. Cet opuscule, très riche, est un belle leçon d’optimisme.

Loïc Di Stefano

Sylvain Fort, Saint-Exupéry penseur, Gallimard, « folio essais », mai 2024, 144 pages, 7,80 euros

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