In Water : avis sur un sommet poétique flou

Un ancien comédien se reconvertit dans la réalisation et invite deux amis à tourner avec lui à l’occasion de son premier court-métrage. Lors d’une promenade sur l’île de Jeju, le jeune cinéaste puise son inspiration lorsqu’il assiste à une scène pourtant très ordinaire…

Toujours aussi actif, Hong Sang Soo continue de développer son univers si singulier avec l’acharnement d’un stakhanoviste et prouve, film après film, qu’un grand sens de la mise en scène comble le manque de moyens matériels. Il démultiplie les astuces et adopte souvent un angle de traitement différent afin de parler de ce qui lui importe, l’amour bien entendu, la mort plus récemment et la place de l’artiste dans la société. Une telle résilience force le respect et l’admiration, bien que son dispositif aride rebute plus d’un spectateur ou observateur.

En outre, on pouvait penser que Walk Up, son dernier long-métrage, soulignait les limites de sa mécanique et que sa propension à recourir à une épure extrême de son approche accoucherait d’une impasse stylistique. Formule minimaliste certes, mais vaine ? Pourtant, l’homme a toujours quelque chose à raconter et sa capacité à sublimer l’insignifiant du quotidien demeure intacte. In Water démontre qu’Hong sang Soo n’a pas perdu de sa superbe et qu’il est apte à se régénérer encore une fois, avec une malice et une candeur toute juvénile, à l’image de son protagoniste. Le cinéaste nous plonge dans les méandres d’un esprit tourmenté par la peur du vide, de la page blanche et par les regrets passés et à venir.

Échos

Trois amis contemplent l’horizon au bord d’une falaise. Splendide composition photographique. Deux d’entre eux entament une conversation, proche d’un jeu de séduction. Ils sont dans leur monde, si loin et si proche de leur autre compagnon, qui continue d’observer, accroupi. Hors champ, un détail l’intrigue et il descend rejoindre l’objet de sa curiosité. Une scène a priori comme une autre, anodine, que certains trouveront sans saveur. Pourtant, l’œil avisé relèvera le sens de l’image visuelle mais aussi métaphorique.

Hong Sang Soo ne se répand jamais en fioritures inutiles, contrairement à ses personnages prolixes ; il en dit peu pour suggérer beaucoup. Et son savoir-faire éclate quelques minutes plus tard, quand ce moment servira de support diégétique, à sa démarche et à celle de son protagoniste, lui reproduit presque à l’identique, comme à son accoutumée, pour mieux déstabiliser et surprendre.

L’emploi de cette technique ne lasse pas, tant il l’applique avec une fluidité déconcertante depuis Un jour avec, un jour sans. Il se projette à travers Seoung-mo, avec un franc-parler rafraichissant. Faire des films rapporte de l’argent ou de la reconnaissance ! Le cinéaste, qui est obligé de travailler en qualité de professeur ou de vendeur en librairie pour financer ses projets, connaît trop bien les enjeux et n’a pas peur d’afficher son ego. Dans sa quête de notoriété, il revisite le septième art, rend hommage à Ozu dans ses prises de risque et se démarque par sa préparation…ou par son absence de préparation.

Une question de préparation

In Water invite à entrer au cœur du processus créatif d’Hong-Sang Soo, basé sur le hasard de la vie et sur une réplique du réel qui confine à l’obsession. Si le cinéaste ne se repose pas sur des scénarios ou des scripts préétablis, il désire néanmoins rechercher l’authenticité quitte à enivrer ses interprètes ! In Water expose sa méthode peu orthodoxe avec un poil d’humour. Certes, In Water ne verse pas dans le compte-rendu minutieux, à l’instar de La Nuit américaine, mais il répond correctement au bilan introspectif voulu par son auteur.

Par ce biais, il introduit cet aspect flouté, étrange et dérangeant, sur les visages, que l’on ne distingue jamais vraiment. Les comédiens sont-ils interchangeables sous le regard de la caméra ? Non car leur moindre gestuelle, l’intonation du timbre de leur voix, leurs réactions prévalent sur les mimiques forcées qui se dessinent trop souvent sur les acteurs. Ainsi, dans In Water, on raconte plutôt que de vivre et on s’isole en secret, en enfouissant ses désirs et ses larmes. On s’aperçoit alors que le cinéma d’Hong-Sang Soo évolue et mûrit. On prépare en amont, on annonce quelque chose qui s’avérera désormais fugace. On achète de l’alcool et de la nourriture, on cherche un restaurant, mais on festoie peu ou plus, car l’heure n’est plus aux réjouissances…

Mélodie mélancolique

Depuis Seule sur la plage la nuit, un vent mélancolique souffle sur la filmographie du sud-coréen et les rafales s’intensifient au fil du temps, avec à la clé, la peur de la mort avant l’heure (Hotel by the river, Juste sous vos yeux). Ce n’est donc sans doute pas anecdotique qu’il ait choisi, comme pour Seule sur la plage la nuit, le littoral comme environnement, ici à peine idyllique, de son récit. Seoung-mo a aimé en vain et aime peut-être encore ; en tout cas, il souffre et est rongé par le remords. Pourtant, nulle démonstration ostentatoire ni envolées lyriques pour explorer les états d’âme du protagoniste, jusque quelques propos sans intérêt en apparence, des hésitations imperceptibles et une chanson adressée jadis à celle qu’il désirait.

Hong-Sang Soo impressionne avec ce portrait d’un jeune homme faussement ordinaire et grandit davantage avec un final en apothéose, poème poignant renvoyant à la conclusion déchirante d’Une Étoile est née de George Cukor. Ces quelques secondes paraissent une éternité et attestent du talent quasi génial du réalisateur. Une séquence d’une beauté sidérante à même d’arracher quelques sanglots, simple dans sa conception, mais parfaite dans son exécution.

Et s’il ne recevra sans doute pas encore la reconnaissance tant attendue de la part du public avec ce In Water, bien trop difficile d’accès, Hong Sang-Soo signe toutefois son meilleur travail depuis Seule sur la plage la nuit. Un bijou vidé de toute substance superflue, poli par une virtuosité quasi inégalable aujourd’hui..

François Verstraete

Film sud-coréen d’Hong-Sang Soo avec Shin Seokho, Ha Seong Guk,  Seong Yung Kim. Durée 1h01. Sortie le 26 juin 2024.

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