Expend4bles, Last Action Zeroes

Le célèbre groupe de mercenaires composé cette fois de baroudeurs et de jeunes recrues va devoir empêcher une catastrophe nucléaire alors qu’une taupe s’est introduite dans ses rangs…

Pour Martin Scorsese, le problème majeur au sein de l’industrie hollywoodienne proviendrait essentiellement de l’omniprésence sur les écrans du super-héros américain, estampillé Marvel ou DC. Et d’un certain côté, on ne peut qu’acquiescer, tant le genre s’est imposé au point de phagocyter toute la visibilité médiatique, ce aux dépens du reste de la production. Néanmoins, le constat du réalisateur repose en partie sur une analyse paresseuse et surtout réductrice, qui omet d’autres dysfonctionnements qui sapent le septième art américain aujourd’hui.

Ne lui en déplaise, les franchises en général n’offrent plus aucune garantie en termes de spectacle et les Fast and Furious, Mission Impossible ou John Wick ne resteront pas plus gravés dans les mémoires que les derniers bébés du MCU. En outre, le cinéma indépendant, dont il incarne le fer de lance, souffre d’un manque de diversité, aussi bien concernant la thématique que l’approche formelle. Sur ce point, la responsabilité lui incombe tant ses héritiers, Quentin Tarantino en tête, adeptes de l’illustration ostentatoire et des bons mots racoleurs, n’ont en revanche plus rien à dire depuis longtemps.

Enfin, il y a cette vague de nostalgie, quasi insupportable, censée faire avaler n’importe quelle couleuvre au premier venu, claironnant à tue-tête que la culture populaire, c’était mieux avant et que les années quatre-vingt et quatre-vingt dix proposaient à ces amoureux, des films de qualité bien supérieure à Shazam ! La Rage des Dieux ou à Ant-Man et La Guêpe : Quantumania. Beaucoup ont été séduits par cette supercherie, ce qui explique par exemple le succès de Top Gun : Maverick… pour rappel, lesdites années quatre-vingt, quatre-vingt-dix ont davantage engendré des étrons décérébrés que des longs-métrages de genre soignés. Derrière un John McTiernan ou un John Woo se profilaient une dizaine de pseudo-artisans prêts à tout ravager, y compris les neurones du public.

Trop vieux pour ces conneries

Mais heureusement pour eux, ils avaient à leur disposition des têtes d’affiches charismatiques, pas toujours très douées sur le plan de l’interprétation, mais suffisamment musclées pour distribuer des coups et tirer dans le tas. C’était le règne d’Arnold Schwarzenegger, Sylvester Stallone, Bruce Willis et consorts. À l’époque, ils caressaient le rêve de partager la vedette l’occasion d’un projet grandiose, honorant de fait leurs exploits. Hélas, l’âge les a rattrapés tout comme le super-héros et cette douce illusion s’est transformée en Expendables, un film d’action bien plus centré sur la fameuse nostalgie et les clins d’œil que sur une mise en scène efficace.

Bien entendu, le succès aidant, cette Madeleine de Proust a fait l’objet d’une franchise juteuse, avec toujours plus de caméos et encore moins d’idées. Par conséquent, la chute des Expendables se profilait et elle advient avec cet Expend4bles. Conçu dans la douleur (avec des différends importants entre Stallone et les studios sur des considérations artistiques), Expend4bles s’impose d’emblée comme un symbole incontournable, celui de l’échec prévisible à terme de ces films qui titillent uniquement les souvenirs du spectateur alors qu’à l’écran, la crédibilité s’estompe quand le poids des ans frappe les idoles d’antan.

Brad Bird avait eu le mérite de se moquer d’un Tom Cruise vieillissant dans Mission Impossible : Protocole Fantôme. Mais l’acteur omnipotent, soucieux de son image, a depuis repoussé ses limites en faisant croire au monde entier, bien naïf, qu’un pilote de chasse de cinquante-cinq ans pouvait battre encore des adversaires plus jeunes que lui tandis qu’un Indiana Jones septuagénaire assommait les nazis d’un crochet bien placé. Le ridicule ne tue pas, mais il nuit à l’authenticité. Danny Glover disait qu’il était trop vieux pour ces conneries dans L’Arme Fatale. Certains de ses pairs auraient dû l’écouter, à commencer par Sylvester Stallone ou Dolph Lundgren qui se couvrent ici de honte et devraient envisager une retraite bien méritée. Et si Scott Waugh essaie d’entretenir l’illusion avec tous les artifices à sa disposition, fond vert garanti dans l’opération, son manque de talent évident et son absence d’imagination contribuent grandement au naufrage en cours.

Le déclin du héros américain

Il faut avouer en effet que les grands pontes ne sont pas seuls responsables du résultat, Scott Waugh ne possédant ni l’envergure et encore moins le charisme nécessaire pour diriger une telle entreprise. L’accumulation de scènes faussement homériques, sentant le réchauffé à plein nez, en atteste, alors que par moments, on croirait que la finition et le montage ont été à peine travaillés. N’allez pas chercher une quelconque performance des acteurs et actrices par ailleurs, ils cabotinent tous jusqu’à la nausée, régurgitant des textes insipides et des blagues indigestes.

La narration manque de rythme et on regretterait presque l’action décousue des films du MCU ainsi que leurs empoignades pourtant pas très réussies depuis plusieurs opus. Mais le jeu de massacre ne s’arrête pas là, le calvaire se poursuit au contraire, clouant au pilori, Andy Garcia et Iko Uwais qui s’était fait remarquer dans l’excellent diptyque The Raid. Hélas, le nouveau Jet Li se conforme au rôle de vilain mal dégrossi et employé à tort et à travers par un réalisateur en roue libre. Il subit quelque part le sort réservé à Mel Gibson et Jean-Claude Van Damme dans la licence. Quant au personnage de Megan Fox, il n’apporte pas grand-chose de neuf à l’ensemble et forme avec Jason Statham un couple déjà vu…

Aujourd’hui, une majorité reproche au héros américain de s’être muté en surhomme Marvel ou DC. Mais si on s’amuse à décortiquer à la loupe les reliquats de sa gloire passée, on constate que son déclin s’avérait inéluctable, Disney ou pas. Outre les changements survenus après le 11 septembre 2001, le non-renouvellement des visages et la surexposition de tâcherons derrière la caméra n’a aidé ni le genre, ni ces figures quasi invincible, sublimées autrefois par John McTiernan et John Woo. Et ce n’est point Gareth Evans, unique révélation récente, qui sauvera à lui seul le cinéma d’action. Oui, le héros américain survitaminé est tombé, pas sûr qu’il se relèvera, notamment avec des films comme Expend4bles.

Inepte, indigent, infect, les termes accablants ne manquent donc pas pour qualifier Expend4bles, sortie de route définitive pour Sylvester Stallone et ses compères mais qui toucheront leurs émoluments pour mauvais et loyaux services. Alors que le long-métrage a sombré au box-office outre-Atlantique, son échec (et celui tout frais d’autres sagas) fera peut-être réfléchir un système en proie à l’entropie, à peine conscient de sa chute imminente. Et Martin Scorsese devrait s’inquiéter à ce sujet…

François Verstraete

Film américain de Scott Waugh avec Sylvester Stallone, Jason Statham, Andy Garcia. Durée 1h43. Sortie le 10 octobre 2023.

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