Quand l’Europe improvise, un grand témoin
Intellectuel et acteur de l’Europe
Philosophe de formation, Luuk van Middelaar a reçu le prix du livre européen en 2012 pour Le passage à l’Europe (Gallimard, 2012) qui narrait la naissance et l’expansion de l’Union Européenne, tant vilipendée aujourd’hui par la classe politique, en France et dans le reste du continent européen. En 2009, il a rejoint le cabinet d’Herman Van Rompuy, alors président du conseil européen (on lui connaît aussi un passage comme conseiller de Frits Bolkeistein, auteur d’une directive qui fut critiquée à juste titre dans les années 2000). Voici un livre tiré de son expérience auprès de Van Rompuy face aux arcanes européennes, à la fois témoignage et essai.
La révélation par les crises?
Luuk van Middelaar a divisé son ouvrage en deux parties. La première raconte finalement comment l’Union Européenne a fait face aux crises : dette grecque, crise de l’euro, Brexit, migrants, et élection de Trump. Là, il donne un récit soigné, plein de détails pour le néophyte des congrès bruxellois, des réunions et des sommets, qui aide à comprendre comment chaque dirigeant a pris conscience du destin partagé et notre auteur est proche du lyrisme :
Dans ce jeu, “responsabilité” et “solidarité” produisent un écho qui n’a guère d’équivalent : d’une part sur chacune d’elles une vision d’avenir et les intérêts d’un groupe, d’autre part, car leur conjonction génère une relation féconde. La solidarité et la responsabilité sont le même équilibre dynamique que les couples “le tout et la partie” et “l’unité et la diversité”. Leur interaction fournit donc un langage qui permet à une union d’état membres de se comprendre en tant qu’unité en mouvement et grâce auquel ils peuvent appréhender tout en improvisant, dans un équilibre sans cesse renouvelé, les évènements qu’amène l’impondérable futur. »
Alors à ce stade on s’interroge. Est-ce la naissance d’un nouveau langage auquel nous, pauvres provinciaux français, captons que dalle ? Heureusement, notre auteur est plus clair lorsqu’il évoque l’automne 2011 :
A l’automne 2011, la zone euro pratiquait une forme dure de politique de la crise : le remplacement des gouvernements faibles. Non dans les urnes, mais à travers des pressions politiques et financières dont la teneur échappait au public. »
Ici il s’avère que l’UE, Sarkozy et Hollande, ont manœuvré pour écarter Papandréou en Grèce et Berlusconi en Italie. Bien. Sans repasser par la case élections, juste par un vote du parlement national. Au passage, on comprend en filigrane que Sarkozy avait bien plus d’envergure et d’impact que son successeur… Pas difficile me direz-vous mais tout de même accablant. En tout cas, van Middelaar ne se prononce à aucun moment sur le fond : efficience ou non de la règle des 3% de déficit, des plans d’austérité et de leur dégâts (montée des suicides en Grèce par exemple). Il décrit le système, le critique mais ne le remet pas en question… il est plus pertinent sur la crise des migrants (un diktat allemand menant à un désastre) ou le Brexit par contre.
De l’art de critiquer le système tout en étant un « insider »
Un intellectuel de la qualité de van Middelaar ne peut avoir manqué de relever les déficiences démocratiques du projet européen, liés à des visions inspiratrices très différentes. Acceptant le fait que « l’UE ne sera pas un Etat, critiquant avec pertinence la culture du consensus pratiquée tant à la commission qu’au Parlement européen, notre auteur appelle à la naissance d’une opposition :
Pour qu’une force de gouvernement prenne forme, il convient de laisser une marge, un espace de manœuvre à l’opposition. »
Mais quelle opposition ? Celle au parlement européen ? Au conseil Européen ? Notre auteur en distingue cinq types bien définis, dont celle polémique de Syrisa en 2015 qui tenta, via un référendum de faire bouger les lignes, sans résultats. Les référendums sont de toute façon mal vus de Luuk van Middelaar. Mais comment changer une Union qui fonctionne mal, par trop bureaucratique, qui n’arrive pas à vendre à l’opinion publique ses réussites (Erasmus, Galileo) et qui a peur du vote des peuples ? Comment changer une UE qui ne protège pas ses citoyens d’un néolibéralisme destructeur de la société et de l’écologie mais qui, pire que tout, l’encourage ?
On aurait aimé des réponses à ses questions. Nous n’en aurons pas alors qu’on devine l’auteur très au fait de ces questionnements. Est-il si difficile de remettre en question certains dogmes ? Reste un témoignage pertinent.
Sylvain Bonnet
Luuk van Middelaar, Quand l’Europe improvise, traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Gallimard, « le débat », octobre 2018, 416 pages, 24 euros