Fragments Monroe en one woman show

la doctrine de Monroe (version Marilyn)

En 2010 paraissait sous le titre Fragments un recueil posthume de textes de différente nature écrits par Marilyn Monroe tout au long de son existence. La comédienne Caroline Ducey présentera à Avignon en juillet un one woman show inspiré de cet ouvrage.

Les Britanniques vont pouvoir découvrir dans quelques jours une édition Blu-ray du film de Catherine Breillat Romance, qui était sorti au cinéma il y a exactement vingt ans. Les bonus de ce Blu-ray incluent une interview récente de Caroline Ducey, interprète de l’héroïne de l’histoire, une jeune institutrice boudée par son mari (Sagamore Stevenin) et conduite par son GPS (Goût Pour le Sexe) à aller chercher des compensations ailleurs (ailleurs n° 1 : Rocco Siffredi ; ailleurs n° 2 : François Berléand). La comédienne raconte dans cette interview à quel point les rapports entre la réalisatrice et l’adolescente qu’elle était alors avaient été compliqués, pour ne pas dire douloureux, Breillat prétendant lui offrir une liberté qu’en fait elle ne lui offrait pas, n’hésitant pas à organiser sans la prévenir des éléments de mise en scène l’impliquant pourtant directement. Caroline a pu parfois perdre le Nord : « Je pensais participer à une course de relais, mais je ne trouvais personne pour reprendre le bâton que je tendais. »

Il n’est pas interdit d’établir un lien entre cette expérience de jeunesse et le spectacle qu’elle s’apprête à présenter d’ici quelques jours à Avignon, un « seule en scène » (ou presque) construit à partir de textes écrits par une autre jeune femme qui connut mieux que d’autres la signification du mot solitude, Marilyn Monroe.

Caroline Ducey a découvert Monroe en allant voir, alors qu’elle était très jeune encore, Les Misfits. « C’est un film qui peut-être manque parfois un peu de rythme, mais qui a des moments de grâce, de poésie. Cette femme vue sur l’écran m’avait bouleversée. » L’émotion se prolonge lorsqu’elle retrouve Monroe sur des photos ou des cartes postales exposées au Forum des Halles : « Aujourd’hui encore, je ne saurais définir la nature de l’attraction que je ressentais. »

Les « retrouvailles » ont lieu en 2010. Un matin. À 8h05. Dans un hôpital de la banlieue parisienne. Et, plus précisément, dans « le seul lieu qui, à l’intérieur d’un hôpital, maintienne une certaine communication avec le monde extérieur : le Point-Presse ». Sur le présentoir, un livre retient l’attention de Caroline Ducey. Sur la couverture, la photo d’une femme qui ressemble à Marilyn Monroe. Elle regarde de plus près : cette femme ne ressemble pas à Marilyn — c’est Marilyn. Elle ouvre alors quelques pages au hasard et trouve dans chacun des textes qu’elle parcourt le soutien dont elle avait besoin à ce moment-là.

Lorsqu’elle se rend compte que ces Fragments, sous-titrés Poèmes, écrits intimes, lettres, ont été coédités, pour cette traduction française, par Bernard Comment, avec qui elle a précédemment collaboré, elle appelle celui-ci pour le féliciter et le remercier d’avoir réalisé ce travail. Un mois plus tard, c’est lui qui l’appelle, pour lui demander de prêter sa voix pour une version audio de l’ouvrage qui sera proposée sur France Culture. « Les enregistrements doivent être quelque part dans les archives de la station. » L’espoir de Caroline Ducey est que le spectacle qu’elle s’apprête à présenter à Avignon amènera ladite station à exhumer ces enregistrements pour en faire un audiobook en bonne et due forme ou, mieux encore, à réaliser un audiobook à partir de la captation d’une représentation.

Cette aventure radiophonique arrive alors à point nommé – Ducey vient tout juste de décider qu’il ne serait pas mauvais qu’elle oriente sa carrière en osant prendre elle-même en charge une création. Qu’elle fasse quelque chose qui lui plaise et, surtout, dont elle ait l’initiative. L’idée se fait jour d’un spectacle conçu comme un hommage à l’auteur Marilyn Monroe et visant à restituer et à faire partager la force que les textes de celle-ci lui avaient donnée. Bien entendu, il ne saurait être question de garder la totalité des trois cent-cinquante pages de ce volume de Fragments. Première sélection, premier montage avec l’aide du réalisateur David Lanzmann. Trois thèmes se dégagent : la folie, l’amour, le travail.

Lanzmann entraîne Caroline Ducey au Silencio, où il a travaillé. Le Silencio est un club privé parisien situé à une vingtaine de mètres de l’endroit où fut assassiné Jaurès et où la couleur dominante est le noir. On ne s’étonnera pas de ce choix légèrement funèbre lorsqu’on sait que la décoration des lieux a été conçue par David Lynch. Ce club – qui a un frère jumeau à Los Angeles – inclut une salle avec une scène où comédiens et metteurs en scène peuvent venir créer, tester des spectacles. L’art pour l’art. L’argent n’entre pas dans ces « échanges ». Pas encore de négociations avec des ayants droit. Caroline Ducey fait cependant parvenir une note d’intention à Bernard Comment, qui, à la faveur d’un voyage à New York, en transmet la teneur à Anna Strasberg, seconde femme de Lee Strasberg. « Monroe avait précisé dans son testament, rédigé alors qu’elle n’avait que trente ans, que, s’il lui arrivait quelque chose, tous ses effets personnels devraient être remis aux Strasberg. » Lee Strasberg avait été l’un des fondateurs de l’Actors Studio, que fréquenta Marilyn Monroe (une scission a eu lieu depuis : la famille Strasberg a claqué la porte de l’Actors Studio pour fonder le Strasberg Institute, où Ducey a d’ailleurs fait un stage en octobre dernier).

Si l’identification des textes se fait assez vite sur la base des trois thèmes cités, elle doit être complétée par le sentiment d’un « trajet » destiné à « reconstruire quelqu’un ». « Pour produire le rythme d’un corps, j’ai compris qu’il fallait que je sois accompagnée par deux musiciens. » Sur la demande de la comédienne, David Lanzmann commence à tapoter sur son clavier. Il ne tarde pas à élaborer une véritable bande-son avec la complicité du guitariste Fred Sachs. Mais cette bande n’est pas enregistrée. C’est ce qu’auraient souhaité, parce que c’eût été plus simple, certains théâtres auxquels le spectacle a été proposé. Mais Ducey tient à ce que les deux musiciens soient véritablement présents à ses côtés. La comédienne de théâtre Marie-Sohna Condé intervient pour aider à la mise en place définitive de ce spectacle de soixante-cinq minutes. « Il y avait un certain temps que je n’étais pas remontée sur une scène. Elle m’a guidée. »

Caroline Ducey @LT Hugo

Il ne reste plus alors qu’à sortir paperasses et stylos pour signer des contrats en bonne et due forme.

Caroline Ducey rappelle Bernard Comment, mais celui-ci lui explique — un peu tardivement — qu’elle doit désormais se débrouiller toute seule, puisqu’il n’est plus en rapport avec Anna Strasberg, mais il lui donne les coordonnées de l’avocat qui la représente. Ducey reprend sa note d’intention initiale et l’envoie donc à cet avocat. Elle explique qu’elle n’est pas ce qu’on pourrait appeler une fan de Marilyn, mais qu’elle pense que son spectacle pourrait faire du bien à toute personne qui, comme elle(s), a « touché le fond », et qu’elle a, gravée dans l’esprit, cette déclaration des Fragments : « Le manque d’amour solide et d’attention avec pour conséquence la méfiance et la peur du monde, je n’en ai rien retiré de bien, excepté ce que cela m’a appris des besoins essentiels des tout-petits, des malades et des faibles. » Et c’est d’ailleurs pourquoi elle n’exclut pas de présenter ce spectacle dans un théâtre situé dans un quartier défavorisé de Paris.

En attendant, ce sera donc à Avignon, du 5 au 28 juillet, à l’ATYPIK Théâtre. Avec la bénédiction de Madame Strasberg.

Après cela, théâtre encore ou retour au cinéma ? Elementary, my dear Watson : théâtre encore et retour au cinéma en même temps, puisqu’il est question d’une adaptation cinématographique, par le réalisateur sénégalais Joseph Gaï Ramaka, de la pièce de Bernard-Marie Koltès Combat de nègres et de chien. Caroline Ducey est d’ores et déjà conquise par la rigueur classique du scénario.

FAL

PS : On pourra lire les textes de Marilyn Monroe dans l’édition poche : Fragments, Poèmes, écrits intimes, lettres, Points, juin 2012, 272 pages, 12 euros.

Le Blu-ray britannique de Romance est édité chez Second Sight et inclut, outre l’interview de Caroline Ducey, une interview de la réalisatrice Catherine Breillat et une interview du producteur Jean-François Lepetit.

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