Les Chasseurs de sève de Laurent Genefort : le nom du monde est forêt !

Nouvelle réédition chez Critic d’un des meilleurs premiers romans SF de Laurent Genefort.

Illustration Pierre Droal

Mieux, Les Chasseurs de sève, est plus qu’une simple réédition ! C’est une véritable réécriture ! Merci M. Genefort ! Sans doute aucun, cet auteur est l’un des plus appréciés dans le milieu. L’un des plus prolifiques (près de 60 titres !). L’un des plus primés aussi (Lum’en, Points Chauds, Omale, Arago etc). Donc ne boudons pas notre plaisir !

Mais on ne remerciera jamais assez, aussi, les épastrouillantes Éditions Critic. Pour leur sacerdoce épatant envers la bonne parole science-fictive ! Ils poursuivent par leur double travail d’éditeur de nouveautés, d’arpenteurs des fonds des genres imaginaires, leur ambition d’exhumer (PJ Hérault !) et de découvrir (François Baranger !) le must des romanciers populaires. Un œil sur leur catalogue en dira beaucoup mieux qu’une liste à la Prévert. Mais sachez que s’y croisent le ban et l’arrière ban de la SF, de la Fantasy et du Thriller francophone. Faye, Davoust, Léourier, Whale & Miller, Geha, Benassaya !

Ainsi, affirmer cette vraie ligne éditoriale devient rare ! Entretenir, la flamme d’une littérature imaginaire d’aventures est courageux. Comme se revendiquer héritier ou surgeon de feue Anticipation du Fleuve Noir. Car il n’ y a point de hasard, si se côtoient en un même univers les Space Opera de Messieurs Héraut et Genefort. Deux générations d’auteurs qui ont fait les beaux jours de la maison du Styx. Un temps où le genre était cantonné dans les présentoirs dans des gares, de points de ventes où l’idée de fonds, l’idée de qualité étaient saugrenues.

Pourtant, dans un même effort, ou plutôt une même envie, Critic comme Le Fleuve autrefois, assume cette volonté d’être tournée vers des auteurs francophones. De croire que l’on peut être populaire, de qualité et en dehors de la sacro sainte doxa d’un catalogue uniquement anglo-saxon.

Subtantifique sève et monde vert

Mais retournons aux racines, à la source. Explorons les entrelacs branchus, glissons sur les lianes enchevêtrées de l’Arbre Monde…

Le monde Vert in Fiction n°100, illustration JC Forest, Opta

Car, pour qui se lance la première fois dans la lecture de Laurent Genefort, Les chasseurs de Sève est une excellente boussole. Mieux, une graine idéale. Car, s’il peut être lu indépendamment, s’y concentre la substantifique moelle de l’univers de l’auteur. Un univers faussement clos et un écosystème propre. Mais, comme souvent chez Genefort, une toile subtile ET cohérente, le relie à son récit-trame des portes de Vangk et des machines Yuweh. Tout est relié, tout est enraciné, a fortiori un monde-arbre.

En fait, c’est bien un planet-opera qui se dévoile sous nos yeux. Un monde vert cher à Aldiss où Le Nom du monde est forêt comme chez Le Guin. Avec en plus une quête en mode survival qui détermine profondément l’ambiance du livre. Roman d’aventure et écologie !

Racines, sources et mémoires

Sur Ventremonde, dans l’Arche, arbre cathédrale colossal qui marque l’univers connu, c’est toute une structure, un monde végétal qui vit, qui cohabite. Mais, depuis peu, et de plus en plus, des signes alarmants alertent ses habitants. Un mal sournois semble détraquer son équilibre. Par la sève, ses artères, ses bourgeons et ses surgeons multiformes, un oracle semble clair. Si rien n’est fait pour endiguer les zones mortifères, la fin du monde est proche.

Le tronc les dominait. Ils avaient imaginé une muraille compacte. La réalité était toute autre. L’écorce grisâtre se striait de fissures verticales cyclopéennes, béant sur des gouffres ténébreux au fond desquels luisaient, éparses, des zones blafardes : le bois-de-coeur pétrifié qui composait le piton central.

p109

Alors Piérig, sourcier, l’un de ces liseurs de sève aptes à sentir l’arbre-monde dans son essence primordiale, part en mission. Trouver la source du mal. Sauver son monde. Quitte à trouver plus que cela. L’origine oubliée, la racine qui les relie tous, au risque de se perdre. Car la transformation touche aussi les communautés. Et les rivalités de voisins deviennent vite guérilla, guerre et vindicte. Piérig, entre vengeance et quête, oscillera alors parfois. Vacillera même. Mais, afin de survivre aux périls nombreux qui encombreront sa route, il ne sera pas seul. L’accompagnent ainsi dans son expédition de la dernière chance, plusieurs personnages qui auront tous un rôle à jouer. Donneront un sens aux signes, un but aux épreuves. Le fort Aksel, Juse le musicien, Reva la fanatique d’une tribu ennemie.

Devenus arpenteurs, explorateurs, alliés et adversaires parfois, la communauté de l’arbre ne sera pas au bout de ses surprises. Jusqu’à la révélation finale !

1re édition, Fleuve noir, « Anticipation » n°1944 Illustration J-J Chaubin

Héritage et transmission

Plante-dieu, arbre-monde, arche-vie, tout un pan de mots et de symboles se modifieront peut-être alors pour une vision, un angle de vie, un angle de vue renouvelé et re-naissant.

Car chaque bord-du-monde est le début d’un autre. En se levant, le regard embrasse une infinité d’arborescences, et l’Homme en est une graine. Parmi tant d’autres…

Digne héritier de sa figure tutélaire revendiquée Stefan Wul, Laurent Genefort nous captive à tout coup. Par ses récits, son style baroque, inventif et précis. Qui, à son tour, engendre pousses et greffes, fait racines et forêts. Bien avant Avatar, ses Na’vis et l’arbre-maison, sa vision d’une panstructure vitale et biotechnologique de l’univers a fait date. Gageons qu’avant peu, un étudiant, apprenti écrivain comme lui lorsqu’il créa Les Chasseurs de sève nuitamment il y a un quart de siècle, reprendra sa quête d’un monde d’histoires. Où l’imagination, telle une canopée bienveillante, protège des terres à l’humus fertile !

Révérence et chapeau-bas Monsieur Genefort !

Marc-Olivier Amblard

Laurent Genefort, Les Chasseurs de sève, Éditions Critic, février 2019, 216 pages, 18 eur

=> À lire aussi sur Boojum la critique de son dernier recueil Colonies

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