Georges Poulet, « Études sur le temps humain »

« Le temps n’est jamais perdu. Il est là, au-dehors, parmi les choses. »

 

Des études littéraires qui passent au-delà des modes (qui s’occupe encore aujourd’hui de textique ?) ou des écoles de pensée (qui s’occupe encore aujourd’hui du formalisme de l’école russe ?),  il n’y en a pas tant que cela. Souvent, leur longévité tient à ce qu’elles s’attachent à un point très précis et qui peut être sujet d’étude de toutes les œuvres à toutes les époques. Dans cette veine, les Études sur le temps humain de Georges Poulet fait figure de modèle.

 

 

Georges Poulet, une sommité

Membre de l’école de critiques dite « de Genève » (aux côtés de Jean Starobinski, Jean Rousset ou Jean-Pierre Richard), George Poulet (1902-1991) a été professeur de littérature française à Liège, Edimbourg puis Baltimore, Zurich et Nice. Il est l’auteur d’une vingtaine d’essais, d’articles et de préfaces (ainsi que d’un unique roman). Mais ce sont ses Études sur le temps humain, considérées à sa réception comme un événement majeur dans l’histoire de la critique et de la littérature.

Il reçoit en 1972 le Prix de la critique de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre.

 

L’être humain n’a jamais le temps d’être, il n’a jamais le temps que de devenir. »

Une étude essentielle

Publié initialement en « livraisons » (1949, 1952, 1964 et 1968, l’édition nouvelle reprend en deux tomes l’intégral des études. Le premier regroupe les tomes 1 (Études sur le temps humain) et 3 (Le Point de départ), et le deuxième les tomes 2 (La Distance intérieure) et 4 (Mesure de l’instant ), regroupés en thématiques : La Durée intérieure et De l’instant éphémère à l’instant éternel.

Le tome 1 contient les études sur Montaigne, Descartes, Pascal, Molière, Corneille, Racine, Madame de La Fayette, Fontennelle, L’Abbé Prévost, Rousseau, Diderot, Benjamin Constant, Vigny, Théophile Gautier, Flaubert, Baudelaire, Valéry, Proust,  Whitman, Bernanos, Char, Supervielle, Eluard, Saint-John Perse, Reverdy, Ungaretti et Sartre.

Le tome 2 contient les études sur Marivaux, Vauvenargues, Chamfort, Laclos, Joubert, Balzac, Hugo, Musset, Guérin, Mallarmé, Maurice Scève, Saint-Cyran, Racine, Fénelon, Casanova, Joubert, les romantiques anglais, Madame de Staël, Lamartine, Stendhal, Michelet, Amiel, Proust, Julien Green.

Autant dire que c’est toute la littérature des cinq derniers siècles qui est passée au crible de la perspective de Georges Poulet. Sa longue introduction reprend l’histoire de la littérature en indiquant les « modes » successives d’appréhender le temps, l’action, la continuité, ce qui s’inscrit dans le temps.

 

Le temps humain

Pour Georges Poulet, le temps est une « impulsion créatrice » propre à chaque écrivain. Mêlant psychologie, philosophie et technique d’analyse littéraire, il cherche à comprendre quelle est la « conscience du temps » propre à chaque auteur. Comment transcrire la durée, comment rendre compte de l’action des ans sur les personnages, quelle est pour chacun la valeur de l’instant ? Autant de moteur de la conscience propre à chaque écrivain que Georges Poulet confronte à la sienne propre pour établir, dans une confrontation fructueuse, une manière de

 

Durer, c’est être présent ; et être présent, c’est être présent à des choses qu’on dispose dans une sorte de temps-espace. Aussi l’acte humain par lequel l’esprit se fait présent à quelque groupe d’images à la fois locales et temporelles, a bien souvent le caractère d’une création incomplète, incongrue, comme des choses qui, dit Supervielle, “ne sont pas faites pour aller ensemble”. C’est une création sans cesse avortée, travestie, rectifiée ; une création qui, comme l’a montré Sartre, demande continuellement les retouches du temps, du néant. / Une création humaine, trop humaine. »

 

Refusant de souscrire aux modes du formalismes études , il rend au texte sa littérature et réfère travailler sur la conscience de l’écrivain telle qu’elle s’y incarne. Les Études sur le temps humain sont un moment important dans l’histoire de la critique littéraire et, au-delà, dans la compréhension de la temporalité même des choses.

 

Loïc Di Stefano

 

Georges Poulet, Études sur le temps humain, Pocket, « agora », octobre 2017

  • tome 1 : La Durée intérieure, 694 pages, 15 eur
  • tome 2 : De l’instant éphémère à l’instant éternel, 676 pages, 15 euros

 

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