Hammer, toujours recommencée : L’Empreinte de Frankenstein et Les Sévices de Dracula
Elephant Films a l’excellente idée d’éditer un coffret réunissant toute une série de films de la Hammer de la grande époque. Certains sont aussi vendus « au détail » et nous ne les passerons pas tous en revue ici, mais les deux que nous retiendrons suffisent à témoigner d’une époque heureuse où l’on savait raconter en une heure et vingt-cinq minutes une histoire dotée d’un début, d’un milieu et d’une fin et dont la brièveté, loin d’être simplificatrice, introduisait une condensation ou, si l’on préfère, une ambiguïté profondément subversive.

L’Empreinte de Frankenstein (The Evil of Frankenstein), réalisé, non pas par Terence Fisher, mais par Freddie Francis (qui allait être plus tard le directeur de la photographie d’Elephant Man et Dune), apparaît a priori comme un « Frankenstein » assez routinier, avec une structure très convenue : élaboration de la créature, réveil de la créature à la vie et destruction du château abritant le laboratoire du docteur par les paysans du coin. Qui pis est – mais là est en fait tout le génie du scénario –, cette trame nous est en quelque sorte servie deux fois. Dans une première partie, sorte de prégénérique, Frankenstein, qui a réussi à donner la vie à sa créature, est obligé de faire ses bagages pour éviter d’avoir des ennuis avec la justice locale. Il choisit de retourner à Karlstaad, où se trouve le château dans lequel il avait effectué – avec succès – ses premières expériences et d’où il avait déjà dû s’exiler pour échapper à la vindicte populaire. Retour aux sources a priori paradoxal, mais Frankenstein pense qu’il s’est écoulé suffisamment de temps depuis son départ pour qu’on l’ait purement et simplement oublié et surtout, il est sûr de retrouver dans son château tout l’équipement qui lui permettra de reprendre ses expériences comme si de rien n’était. Pauvre naïf ! Tout son château, laboratoire inclus, a été pillé ou détruit par les locaux pendant son absence et il doit tout reprendre à zéro. À une exception près, toutefois : la créature qu’il avait jadis produite n’est plus vivante, mais elle est restée conservée intacte dans un glacier. Il faut simplement la faire « redémarrer ».
Évidemment, Frankenstein a recours pour cela à un certain nombre de méthodes que la morale réprouve et fait preuve d’un cynisme ahurissant, mais nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver pour lui une certaine sympathie dans la mesure où, étant donné ce que nous venons de raconter, nous ne voyons pas simplement en lui un savant s’efforçant d’imposer une science sans conscience, mais aussi et d’abord un homme vieillissant qui cherche désespérément – et même s’il n’en est pas conscient – à retrouver sa jeunesse. Deux histoires pour le prix d’une, donc.
Deux histoires pour le prix d’une également dans Les Sévices de Dracula, de John Hough. Deux jumelles orphelines sont recueillies par leur oncle, un puritain rigoriste qui leur interdit toute fantaisie et qui est à la tête d’un groupe d’hommes qui, partageant ses convictions, passent une grande partie de leur temps à brûler vives les jeunes filles du coin trop peu vertueuses à leurs yeux. On a sans doute déjà compris que les deux jumelles, si semblables physiquement soient-elles, ne suivront pas le même chemin. La première respecte à la lettre les consignes de son oncle, mais l’autre ne tarde pas à céder à l’attrait du vice en se faisant la disciple du comte Karnstein, débauché et vampire de son état (ne point trop chercher Dracula dans l’affaire ; il n’est véritablement présent que dans le titre français, le titre original étant plus simplement Twins of Evil). Bien sûr, là encore on devine les effets de suspense qui vont être tirés de la confusion entre les deux sœurs, mais derrière cette confusion (ces quiproquos ou – soyons féministe – ces quaeproquas) se cache une autre confusion, ou plus exactement une identification extrêmement subversive. On comprend assez vite que le puritanisme de l’oncle Weil – remarquablement (dés)incarné par Peter Cushing – n’est que le masque d’une perversion qu’il n’ose probablement pas s’avouer à lui-même, mais tout aussi grande et tout aussi dangereuse au fond que celle du comte Karnstein. Et l’on se souvient ici de l’une des pièces du Théâtre de Clara Gazul de Mérimée, dans laquelle il est clair que l’acharnement avec lequel des inquisiteurs punissent une jeune fille n’est que l’expression détournée du désir qu’elle suscite en eux.
La force des films de la Hammer, produits apparemment très artisanaux, tenait en fait à leur complexité.
FAL
13 cauchemars de la Hammer, Elephant Films, octobre 2025, 99, 99 euros
