Full River Red : avis sur 120 minutes pour vivre
Chine médiévale. Un diplomate du clan Jin est assassiné lors de sa rencontre avec un chancelier de la dynastie Song et sa lettre destinée à l’empereur, dérobée. Un sentiment de paranoïa se répand parmi les troupes de Qin Hui et une purge commence. S’il désire sauver sa vie, Zhang Da va devoir démasquer les coupables. Mais il ne dispose que de deux heures tandis que les secrets et mensonges abondent…
Force est de constater que Zhang Yimou occupe une place particulière au sein du septième art chinois ; il est passé d’un statut d’icône à celui d’un metteur en scène ambitieux, mais sans idées. Il devint très rapidement la coqueluche des festivals occidentaux en décrochant l’Ours d’or de Berlin pour Le Sorgho rouge et le Lion d’argent à Venise pour Épouses et concubines en 1991. Les prix affluent durant les années quatre-vingt-dix pour ce réalisateur versé surtout dans les drames et les films d’époque.

Puis au début du deuxième millénaire, il s’essaie au cinéma de genre et démultipliera les incursions dans le wu xia avec Hero, Le Secret des poignards volants ou encore La Grande muraille. Ce revirement à cent quatre-vingts degrés marquera l’entame d’une lente déliquescence de son art ; en dépit des moyens mis à sa disposition, Zhang Yimou s’enfonça un peu plus dans les affres d’un pseudo formalisme, sans saveur ni substance. Le réalisateur a hélas oublié depuis longtemps la signification du mot subtilité, s’attardant plus sur les paillettes et les costumes que sur le cœur de sa méthode.
Pis encore, sa filmographie s’est érigée en vecteur de communication d’un régime totalitaire. De fait, le message tendancieux diffusé depuis Hero déconcerte ses admirateurs de la première heure. Ainsi, tout laisse à penser que Full River Red constitue pour lui, l’ultime espoir de se réconcilier avec ses détracteurs et de renouer avec les qualités affichées à ses débuts. Or, si ce dernier long-métrage ne se hisse pas au niveau d’Épouses et concubines, il se distingue nettement de ses prédécesseurs décevants, grâce à la prise de risque de son auteur.
Des plans à l’intérieur des plans
Avec ses allures de faux film de sabre (contexte, rôles typiques), Full River Red plonge le spectateur dans un monde d’intrigues (dignes d’un wu xia justement), motivé par une félonie que ne renierait pas George Martin. Et ici, les langues se délient sous la menace, le chantage et la torture lors d’interrogatoires à couteaux tirés. L’important est de survivre suffisamment longtemps pour accomplir ses desseins et, dans cette optique, toutes les bassesses sont permises. Ce tableau a priori alléchant, mais peu original bénéficie en revanche de l’imagination fertile de Zhang Yimou pour précipiter ses personnages dans les situations les plus grotesques, en dépit de l’épée de Damoclès suspendue au-dessus de leurs têtes.
L’introduction reflète cette ambiance si particulière, comme si tous dansaient gaiement alors que la fin du monde approche. Zhang Da esquive les coups et évite un sort funeste grâce à des pirouettes aussi habiles qu’hilarantes. Piètre investigateur ou faux bouffon, difficile de se faire une idée…mais Zhang Yimou lui sait toujours où il désire en venir, tire les ficelles et en bon démiurge, joue avec ses personnages avec malice.
Sa formule repose principalement sur un enchaînement de révélations. Elles s’imbriquent les unes dans les autres, tels les éléments d’une poupée gigogne et il s’ingénie à les dévoiler simultanément à chaque nouvelle scène. Il invite le public à en découvrir davantage, le maintenant en haleine avec une ruse aussi perfide que ses protagonistes. Seul objectif, surprendre encore et encore, quitte à tomber dans le procédé facile (il est d’ailleurs délicat de revoir le film ensuite) et d’épuiser même l’œil averti, avec une cascade de rebondissements ad nauseam. Un défaut compensé fort heureusement par le parti pris spatial de l’ensemble.
Théâtre politique
Il existe en effet une dualité intéressante, exploitée assez finement par Zhang Yimou, dans le traitement de son environnement : l’immensité du palace du chancelier contraste avec les pièces confinées, où manœuvres et trahisons se jouent et se déjouent. Comme si l’infiniment petit, le détail le plus anodin pouvait perturber un si vaste engrenage. Cette théorie sera d’ailleurs étayée lors d’un final retentissant (dans tous les sens du terme), au cours duquel le texte poétique diffusé en chœur est appelé à se transmettre indéfiniment.
Une conclusion ouverte sur un extérieur évoqué hors champ, comme si tout le poids du monde et l’avenir étaient confiés dans les mains des quelques hommes et femmes vivant dans ce palais. Cette concentration humaine au mètre carré permet au réalisateur de déployer un dispositif tout théâtral, à même de souligner les enjeux politiques et de s’adonner aux bons mots, aux répliques tranchantes comme l’acier de la dague d’un assassin ou d’un dignitaire. La violence des mots rejoint celle des coups tandis que le duo Zhang Da-Sun Jun abat ses cartes.
Il faut donc se focaliser sur chaque parole prononcée, sur chaque geste pour percer le voile mystérieux qui recouvre cette sinistre farce. Et c’est dans cette mécanique implacable que Full River Red tire sa force, mais aussi atteint ses limites. Verbe facétieux ou diarrhéique, le film ne fait pas toujours dans la nuance à l’instar de son rythme soutenu en termes de narration.
Faste et furieux
Et c’est en intensifiant la cadence que Zhang Yimou insuffle la facette épique de son récit, en rapportant les faits quasiment en temps réel, avant de ralentir l’action au moment d’aborder la conclusion. En tronquant les musiques traditionnelles locales pour un son pop rock afin d’animer son long-métrage, le cinéaste instille un côté résolument moderne, désirant maintenir le spectateur sous pression, ce à l’instar de ses protagonistes. Le compte à rebours est lancé et rien ne pourra l’arrêter… à moins que.
Aussi théâtral qu’il soit, Full River Red tire son essence du wu xia, par le faste des décors, rendus lugubres par l’éclairage et la situation ou par l’aspect aventureux qui se dégage de l’investigation menée par Zhang Da. On attend avec impatience la confrontation finale, comme dans le chef-d’œuvre de King Hu, Raining in the moutain et pour nous y préparer, le cinéaste joue aux échecs avec ses personnages, abattant les plus faibles pour mieux faire triompher le « bien » ; car hélas, une fois de plus, un aspect propagandiste inquiétant se dissimule dans le long-métrage de Zhang Yimou même s’il s’avère moins prononcé que dans Hero ou dans La Grande muraille.
Voilà pourquoi on retiendra Full River Red davantage pour le spectacle honnête proposé que pour le message tendancieux, pour sa forme que pour son fond. Quoi qu’il en soit, il est agréable de reconnaître que Zhang Yimou relève enfin la tête après un lent déclin débuté il y a plus de quinze ans.
François Verstraete
Film chinois de Zhang Yimou avec Teng Shen, Jackson Yee, Zhang Yi. Durée 2h36. Sortie le 31 juillet 2024