Le karaté est un état d’esprit, super freaks

Un monument du roman noir

Ancien de la guerre de Corée et professeur de littérature, Harry Crews est surtout connu comme l’auteur du Chanteur de gospel (Gallimard, 1995), plongée amère dans le Sud profond, dont il était originaire. Tardivement révélé en France, Crews avait cependant attiré l’attention des amateurs par sa description précise de l’Amérique et son ton cru, nerveux et ironique. Disparu en 2012, il laisse un grand nombre d’ouvrages non traduits en français que les éditions Sonatine ont entrepris de les publier : citons Nu dans le jardin d’Eden (2013) et Les Portes de l’enfer (2015). Le Karaté est un état d’esprit vient juste de sortir et ça décoiffe, ami lecteur.

Le karaté est LA solution

John Kaimon est un marginal qui erre sur les routes. Sur une plage de Floride, il tombe sur une troupe de karatékas en train de répéter leurs mouvements. Ils l’emmènent dans leur repaire, la piscine vide d’un hôtel désaffecté. Kaimon sympathise avec Lazarus et surtout avec Gaye Nell Odell, une reine de beauté qui ne s’en laisse pas conter. Kaimon arrive du Sud. Orphelin de mère, il a été élevé par sa tante et n’a pu compter sur son père fou. Violé par des bikers, il est on ne peut plus méfiant envers autrui. Il est pourtant intégré par la confrérie des karatékas et surtout par Gaye Nell Odell. Le gourou, Belt, prend sous son aile Kaimon qui apprend le karaté. Ce dernier ne comprend (veut-il vraiment comprendre) en tout cas rien à l’esprit du groupe. En fait, il est décalé :

La tête de John Kaimon était en train de cuire. A moins qu’elle ne fut déjà cuite. Il soupçonnait son crâne et son visage nus, encore blancs ce matin, à part la peau bronzée autour des yeux qui formait comme un masque — à part ça, il soupçonnait sa tête et son visage d’être couleur brique. »

Kaimon en voit des vertes et des pas mûres mais tout bascule quand Gaye lui avoue, en prenant des coups de leur gourou Belt, qu’elle est enceinte. Kaimon frappe le gourou, qui lui pardonne, tandis que Gaye veut « perdre » le gamin. Kaimon est dans la merde…

L’univers des freaks

Quand on lit ce roman traduit par l’ancien patron de la série noire (et auteur de polars) Patrick Raynal, on a envie de dire bienvenue aux freaks. Ce roman n’est pas facile, lecteur, à appréhender car il révèle bien des pièges, des chausse-trappes. Pour autant, il séduit parce que l’auteur aime ses personnages. Même ironique, Crews est incapable de mépris pour eux, même quand il décrit des situations « limites ». la vie est ici un gros merdier dont on a du mal à se dépatouiller, c’est tant mieux pour la littérature.

Le karaté est un état d’esprit est une preuve de plus de l’originalité d’Harry Crews, écrivain peu connu dans son pays : comptons sur la France pour réparer cela.

Sylvain Bonnet

Harry Crews, Le Karaté est un état d’esprit, traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Raynal, Sonatine éditions, juin 2019, 240 pages, 20 eur

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