Hercule, deux péplums en dvd

Le chemin de l’Ercole

« Il dit, et déracine un chêne. » ‒ Victor Hugo, Le Mariage de Roland. Au cinéma, Hercule réalise pareil exploit sous nos yeux dans les péplums italiens des années soixante. Mais le culturisme n’excluait pas une défense et illustration de la culture. Le prouvent Hercule contre les fils du Soleil et Hercule l’invincible, réédités aujourd’hui chez Artus.

 

Citer les meilleurs interprètes des péplums italiens des années soixante ? Pour Renato Rossini, alias Howard Ross, qui fit ses débuts de comédien dans ce genre avant de poursuivre sa carrière dans des gialli et des poliziotteschi, la question est vite réglée : « Nous étions tous nuls. Mais il fallait bien boucler les fins de mois… » Cependant, il nous plaît de voir dans l’éclat de rire qui accompagne cette déclaration le dépit mélancolique d’un septuagénaire dénigrant sa jeunesse pour mieux dissimuler ses regrets.

 

 

Bien sûr, il est facile de trouver dans Hercule l’invincible ‒ où Ross interprète un personnage assez secondaire ‒ ou dans Hercule contre les fils du Soleil maints sujets de raillerie. Mais il faut aussi voir que l’alliance de mercantilisme et de naïveté qui caractérise ces Hercule n’interdit pas de leur trouver quelque charme, et l’on n’est guère surpris d’entendre l’éminent bissologue Alain Petit expliquer qu’il n’est pas exclu que Mario Bava ait pu jouer un rôle déterminant dans la confection du premier, même si son nom n’apparaît nulle part au générique (il refusait d’être cité lorsqu’il occupait un poste autre que celui de réalisateur). Les décors, les matte paintings et les jeux de lumière de certaines séquences rendent extrêmement plausible une telle hypothèse.

 

 

Si l’on veut rejoindre le camp des détracteurs, on pourra s’étonner qu’Hercule, s’il se nomme bien Ercole dans la version originale d’Hercule l’invincible, soit rebaptisé Ursus d’un bout à l’autre de la VF (le fait qu’il affronte à un moment donné un ours ne saurait suffire à justifier ce changement d’identité !) et on se demandera à la suite de quelle distorsion spatio-temporelle Hercule se retrouve, dans Hercule contre les fils du Soleil, de l’autre côté de l’Atlantique, sur les côtes d’une contrée peuplée d’Incas (qui, tous, ont dû télécharger dans leur cerveau Google Translate, puisqu’ils n’ont aucune difficulté à s’entretenir avec lui). On pourra aussi dénoncer la simplicité des intrigues : dans un cas comme dans l’autre, il s’agit pour Hercule de chasser du pouvoir un cruel usurpateur.

Mais, qu’il ait les traits ‒ ou les muscles ! ‒ de Mark Forest ou de Dan Vadis, Hercule ne recourt pas tant à sa force physique pour remplir sa mission qu’aux ressources intellectuelles et humaines de la civilisation qu’il représente. La mètis qu’il porte en lui n’a rien à envier à celle d’Ulysse. Aux fils du Soleil, il fera découvrir la roue, et donc les machines de guerre et la stratégie qui leur permettra de tenir tête à des adversaires pourtant cinq fois plus nombreux qu’eux. Aux tyrans, il prouvera l’inanité des sacrifices humains et l’absurdité des superstitions qui les dictent ; il leur montrera que l’exercice tyrannique du pouvoir rend apte à vaincre, mais non pas à régner. Évidemment, tout cela ne fait jamais l’objet de longs développements théoriques, mais, même s’il est rebaptisé Ursus, et même s’il s’inscrit dans une mythologie de bazar ou, si l’on préfère, dans une pseudo-mythologie (analysée en détail dans un bonus par Michel Eloy, puits de science péploïdale à nul autre pareil), Hercule reste ici fidèle à l’antique tradition qui voulait voir en lui un héros stoïcien. Les nombreux éléments ridicules ‒ à commencer par cette espèce de Sancho Panza presque aussi présent que le héros lui-même dans Hercule l’invincible ‒ qui parsèment les péplums risquent de dissimuler à nos yeux le fond(s) culturel authentique qui les sous-tend.

 

Hercule contre les fils du Soleil

 

Certes, ces deux Hercule sont pour nous d’autant plus nostalgiques qu’ils ne sont pas loin d’avoir sonné en leur temps le glas du genre-péplum. Leurs jungles ont souvent des allures de bois de Boulogne et les spécialistes nous expliquent que, au moins pour l’un d’entre eux, la maigreur du budget était telle qu’elle contraignit le réalisateur, Alvaro Mancori, alias Al World, à utiliser des plans empruntés à des péplums déjà existants. Mais le cinéphile optimiste saura voir aussi dans ces emprunts la marque d’une continuité et dans cette « fin de partie » le début d’une renaissance. Dans les deux cas, Hercule est déjà à sa manière le man with no name, surgi de nulle part, qui vient semer le désordre et la confusion dans une ville jusque-là tranquille, mais qui, ce faisant, révèle à quel point cette tranquillité était artificielle, hypocrite, imposée. On aura reconnu là l’un des thèmes classiques du western, et du western italien en particulier. Autrement dit du genre qui allait prendre la relève dans le cinéma populaire italien.

Bien sûr, tous les interprètes de péplums ne surent pas s’adapter à cette mutation. Si Giuliano Gemma, qui interprète l’un des fils du Soleil, n’allait pas tarder à devenir Ringo et bien d’autres cowboys mémorables, Dan Vadis, vedette d’Hercule l’invincible, allait, lui, finir tristement quelques années plus tard (on le retrouva mort d’une overdose, dans sa voiture, au milieu d’un désert américain). Il avait malgré tout eu le temps, après son retour à Hollywood, d’interpréter quelques seconds rôles dans des films de Clint Eastwood, lequel se souvenait de lui pour l’avoir croisé sur des plateaux italiens. La reconversion la plus inattendue fut celle de Mark Forest, qui interprète Hercule dans Hercule contre les fils du Soleil : il mit à profit, dit-on, l’argent gagné dans ses péplums pour prendre des cours de chant, et se recycler en chanteur d’opéra, puis en vocal coach. Une forme d’apothéose moins spectaculaire que celle d’Hercule, sans doute, mais moins sujette à caution.

 

FAL

 

Hercule l’invincible, réalisé par Alvaro Mancori, avec Dan Vadis, Spela Rozin, Ken Clark.

Hercule contre les fils du Soleil, réalisé par Osvaldo Civirani, avec Mark Forest, Giuliano Gemma, Anna-Maria Pace.

Artus Films. Chaque DVD, 14,99 euros

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