L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020

L’Anomalie d’Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, se compose en fait de deux parties distinctes. La première est construite comme un roman policier, avec sa part de mystères, et même d’énigmes, si étranges parfois, que leur somme s’appellera plus tard « anomalie ». Un tueur à gages, un écrivain sans succès, une petite fille qui aime sa grenouille, un pilote d’avion, une enquêtrice du FBI, ne devraient pas avoir à priori beaucoup de points communs. Et pourtant, à tous, il arrive des péripéties inexplicables. Comment vont-ils s’en sortir ? Et comment se fait-il qu’un banal vol Air France Paris — New York soit intercepté par des chasseurs des Forces ariennes US, prêts à l’abattre ? Fin de la première partie….

On ne dira rien de la seconde, ce serait révéler comment le livre bascule alors dans l’irrationalité. Cela est difficilement racontable ici, et nous amènerait à se demander ce qu’il y a au-dessus de l’homme. Dieu ? Un autre monde ? Un autre homme, dédoublé du premier ? Cette « anomalie » n’est-elle pas plutôt : simulation, manipulation, reproduction. Ou bien aussi : sidération, fiction, imagination ?

un roman érudit

Hervé Le Tellier fait preuve de connaissances scientifiques, militaires, techniques, mathématiques, policières, qui laissent absolument pantois. On veut croire que des spécialistes l’ont aidé, mais quand même : marier la météo et la métaphysique, le cancer et les extraterrestres, les services secrets et les chanteurs nigérians, l’aviation et la physique quantique, cela  fait beaucoup. Bravo l’artiste ! 

Le spectre est donc large, et un peu déstabilisant par moments. Mais malgré de réelles difficultés à suivre le fil, parfois, et la complexité de certaines situations, il faut s’efforcer d’aller jusqu’au bout, puis d’échanger là-dessus avec ses amis, essayer de mieux percer ce qui ténébreux, voire inquiétant, et qui représente finalement une fenêtre ouverte sur ce que nous ne savons pas de nous. 

Est-ce pour cela que les jurés du Goncourt l’ont choisi, ou bien pour couronner Le Tellier, écrivain inclassable, romancier atypique, dont le présent ouvrage, singulier à bien des titres, serait la preuve qu’il est bien un spécialiste de l’humour noir ? 

L’Anomalie est un livre qui ne peut pas laisser indifférent. Un livre dont on sort un peu chiffonné, et qui ne nous amène pas forcément là où nous voudrions aller. 

Didier Ters

Hervé Le Tellier, L’Anomalie, Gallimard, novembre 2020, 320 pages, 20 eur

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