Le piège des aveux, cherchez la femme

On sait qu’elle s’appelle Constance, elle se trouve à la source de la chaîne des récits de Simon qui la perd, d’Antoine qui en deviendrait le meurtrier, de Jacques le prêtre qui en perdrait sa foi. Elle s’y trouve mais on ne la trouve pas…

L’amour est un récit

Antoine n’a pas d’existence, « mon corps habillant une forme vide » dit-il. Simon remplit ce vide en lui racontant son amour. « Ce contact me décomposait, écrit Antoine, je m’élidais, manipulé par sa langue comme une marionnette dont vous, Constance, auriez tiré les fils ». De même, le récit d’Antoine décomposera le prêtre qui le visite en prison, le replongeant dans l’amour qu’il n’a pas connu. Simon ne va guère mieux : il a vu la bouche, il entendu la voix aimée exprimer son refus, puis dans un petit jeu pervers, lui reprocher de ne pas être venu quand elle l’avait attendu, lui révélant ainsi son impuissance… mais qu’importe : Simon fait de la voix de Constance le paradis de son délire, il l’emporte avec lui… elle peut dire ce qu’elle veut, sa voix reste un miel.

Ainsi, pour nos trois comparses, l’amour est un récit qui les plonge dans les sombres délices du refus, de la perte, de la mortification, au point de perdre le sens du réel, et de les réunir dans l’amour, jusqu’au meurtre.

Dans la préface qu’il a faite au livre, Michel Host parle de « l’expression racinienne des destins tragiques. » En effet cette langue retrouve les accents de nos grands classiques. Bien frappée, elle en perpétue le souffle, et se déroule à une hauteur où le réalisme a cédé devant le mythe. Ici le mythe d’un amour inassouvi qui lie les hommes entre eux (comme à l’armée, comme dans le sport ?), Éros livrant alors sa face obscure, celle de Thanatos.

L’amour fou

De tourner en rond dans l’idéalité, cet amour devient fou. Débarrassé de tout objet réel, l’amant jouit de son désir seul, il lui suffit d’un leurre : un mot, une voix. L’objet de l’amour serait trop réel, il ne se décalquerait pas sur son fantasme, il trahirait son imaginaire. Certains, certaines ne s’y résignent pas. Antoine non plus, qui rêve de Constance :

« Si elle résiste lui faire violence, la clouer dans le cadre afin qu’elle se superpose au portrait ».  

Dans l’idéal de l’amour ce serait soi-même qu’on aime, l’idéal d’un moi que l’on s’est forgé et que l’on ne parvient pas hélas à devenir. Quel bonheur de le rencontrer dans la réalité (croit-on) d’une autre personne : alors on devient, pour un temps, un ver de terre amoureux d’une étoile.

Mathias Lair

Annie Dana, Le piège des aveux, préface de Michel Host, illustration de Danièle Blanchelande, octobre 2023, 160 pages, 15 euros

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