« Hostiles », le western selon Scott Cooper
Nouveau-Mexique, 1892. Sur ordre de Washington, un officier de la Cavalerie (Christian Bale) doit escorter un chef cheyenne mourant (Wes Studi), ainsi que sa famille, jusqu’au Montana. Il recueille en chemin une jeune femme traumatisée (Rosamund Pike), dont la famille a été exterminée par les Comanches.
Déjà vu, me direz-vous ? Oui, mais les amateurs le savent : dans le western, ce sont les variations qui comptent. Prenez par exemple le début de Hostiles. Première séquence : des Comanches massacrent sans pitié une famille de pionniers. Cut. Deuxième séquence : des soldats de la Cavalerie humilient une famille cheyenne, sous le regard impassible de leur capitaine.
Pas de fioritures, pas de commentaire. Au spectateur de juger. Seul point commun entre les deux séquences : une terre aride et immense, celle de l’Ouest américain. Pourquoi le cinéaste Scott Cooper commence-t-il ainsi son film ? Pourquoi commence-t-il d’abord par montrer la barbarie des Comanches puis ensuite celle des soldats américains ? Est-ce pour relativiser le cliché de l’Indien sanguinaire en le contrebalançant par la cruauté des Occidentaux ? Est-ce pour renvoyer dos à dos les deux barbaries ? Difficile à dire. Ce qui est sûr, c’est que cette juxtaposition fait réfléchir. C’est toute la grandeur du cinéma, depuis Griffith : faire se succéder deux images différentes pour en créer une troisième dans notre esprit.
Si vous êtes un spectateur sensible et un tant soit peu humaniste, il y a de fortes chances que la consternation et les larmes vous saisissent devant tant de sécheresse, de désolation, de barbarie et de souffrance. Rien que pour cela, Hostiles est un événement, d’abord parce que le western sur grand écran est trop rare pour qu’un amateur de cinéma américain se permette de l’ignorer, ensuite parce que ce film, par sa sobriété, son non-dit et sa noblesse, est une véritable leçon adressée par un jeune cinéaste aux autres jeunes cinéastes qui ont vendu leur âme à Disney/Marvel et à leurs simili Power Rangers conçus à la chaîne.
Noblesse, ai-je dit ? Comment pourrait-il y avoir de la noblesse à montrer tant d’horreurs ? Eh bien, justement, parce que dans ce film, contrairement à beaucoup d’autres, la violence n’a rien de séduisant. Elle n’est pas spectaculaire. Elle est ce qu’elle est dans la vie réelle : glauque. Comme Clint Eastwood dans Impitoyable, Scott Cooper montre l’horreur du meurtre et les conséquences psychologiques désastreuses qu’engendre cet acte irrémédiable : le traumatisme pour les plus fragiles (femmes, enfants), la perte de l’âme pour les plus endurcis (les tueurs des deux bords). C’est ainsi que ces Américains, natifs ou occidentaux, errent dans un espace vide et indifférent, l’Ouest sauvage, comme ils errent, fantomatiques, dans leur propre existence. Si les motifs du film (l’homme dans l’immensité, le rapport à l’Autre, la famille) sont indéniablement fordiens, il est évident que le traitement ultra réaliste, montrant un Ouest crasseux et hébété, s’inspire de Robert Altman et de son John McCabe (1971).
On pourra reprocher au jeune Scott Cooper son absence totale d’humour, alors que Ford, Eastwood et Altman n’en manquent pas. C’est le seul défaut de Hostiles, film volontairement pesant. Mais cette douleur continuelle a un avantage : quand la bonté d’un protagoniste remonte à la surface, on s’y accroche comme à une bouée. C’est une bonté si rare, si fragile, qu’elle en devient réellement bouleversante : c’est l’enfant cheyenne offrant un petit œuf à son grand-père mourant, ce dernier y voyant le plus beau des cadeaux, un cadeau qui lui « redonnera la vie » ; c’est ce même vieillard qui refuse tout au long du périple de parler anglais et qui fait une exception pour remercier la jeune femme de sa gentillesse ; c’est le regard douloureux de Bale et de ses hommes, se sachant damnés pour leurs crimes et espérant secrètement une rédemption, par la création d’une nouvelle famille ; c’est enfin la découverte, dans la lumière de l’aube, de la Vallée des Ours, au Montana…
Et malgré l’horreur de cette odyssée américaine, ou peut-être à cause de cette horreur, on a envie de dire, comme les Cheyennes devant ce paysage lointain, presque inaccessible : « C’est plus beau que ça n’a jamais été… ».
Claude Monnier
Hostiles (2017), réalisé par Scott Cooper, avec Christian Bale, Rosamund Pike, Wes Studi, Adam Beach, Ben Foster. Scénario : Scott Cooper, d’après une histoire de Donald Stewart. Photo : Masanobu Takayanagi. Montage : Tom Cross. Musique : Max Richter. Décors : Elliott Glick, Donald Graham Burt. Production : Waypoint Entertainment et Le Grisbi Productions. Durée : 134 minutes. Sortie française : 14 mars 2018.