un siècle de financement du cinéma, la Saga Natixis Coficiné

C’est enfoncer une porte ouverte que de dire (et d’écrire) que le cinéma est avant tout une industrie, le côté artistique n’intervenant que bien plus tard. Si vous ne disposez pas sur votre compte en banque (ou dans une valise) de quelques millions d’euros, inutile de vous aventurer dans la production. Investissez dans les choux de Bruxelles et dans la porcelaine de Limoges, vous aurez moins de risque de finir ruiné. Donc, derrière les metteurs en scène aussi géniaux soient-ils, il y a les producteurs. Mais on a tendance à oublier que derrière les producteurs il y a aussi les banques. Donc certaines spécialisées dans le financement du cinoche. C’est cet oubli (pour ne pas dire ce trou) que comble Didier Courtois Duverger dans un siècle de financement du cinéma, la Saga Natixis Coficiné.

les banquiers et le cinéma

Ce monsieur n’est pas n’importe qui puisqu’il a passé pratiquement toute sa carrière à financer des films, sautant de l’ancienne banque d’Antoine Rouvre à la moderne Natixis Coficiné. Bien entendu, sa fonction le pousse à se concentrer sur ce qu’il connaît bien : la (ou les) banque(s) qui l’emploie(nt) ; frôlant parfois le catalogue publicitaire… Les autres établissements restent dans la partie congrue. Des satellites qui n’ont jamais eu la puissance de feu de Natixis. 

Autant historien que banquier, l’auteur remonte donc au début de M. Rouvre qui eut l’audace d’aider financièrement un nouveau média (on ne disait pas comme cela à l’époque) dans sa soudaine expansion. Ainsi, raconter l’évolution de la banque c’est, en parallèle, narrer l’évolution du cinéma français. Le nombre de films cités est impressionnant, tout autant que les personnalités qui ont osé taper à la porte de la banque. Timides et peu nombreuses au début, de plus en plus nombreuses par la suite. Certaines œuvres ont connu des financements aussi complexes que chaotiques ; on se souvient des Amants du Pont Neuf.

Contrairement à ce que suggère son titre, l’ouvrage ne traite pas uniquement de cinéma mais aussi de télévision, la banque ayant aussi soutenu de nombreuses séries (dont la récente Lupin).

D’abord une histoire de la banque

Cherchant à s’adresser au grand public, Didier Courtois Duverger s’efforce de faire acte de vulgarisation. N’y parvenant pas toujours. Certains détails financiers dépassent les capacités intellectuelles du citoyen lambda (dont je crois faire partie). Mais cela n’a que peu d’importance car il s’agit surtout de suivre le fil de l’histoire et, surtout, de l’Histoire. 

Soyons clairs : le destin de la banque passe, dans ces pages, avant celui du cinéma. L’auteur nous explicite son point de vue de banquier, la part artistique entrant rarement en ligne de compte (c’est le cas de le dire).

Il est indéniable que le résultat apporte un plus à la connaissance globale du cinéma. Si je ne me trompe pas, c’est le premier ouvrage à traiter ouvertement et efficacement de l’implication des banques. Il doit sans doute en exister d’autres mais reposant sur un point de vue strictement technique. Ici, l’on a droit à la fois au bureau feutré des établissements bancaires et aux fastes du festival de Cannes, aux réunions en huis clos et aux retrouvailles lors de la sortie d’un film !

Le livre se termine par une sorte de délire futuriste dans lequel l’auteur s’amuse à imaginer le cinéma des années à venir. Cela ne manque pas de dérision et peut-être que l’une ou l’autre de ses prédictions se réalisera. Déjà, il a pressenti le rachat de MGM par Amazon, plusieurs mois avant que les contrats ne soient signés !

Disposant de plus de mots à mon vocabulaire que d’euros sur mon compte en banque, je m’attache autant à la forme qu’au fond. Je regrette donc les coquilles qui émaillent le livre, les bouts de phrase (ou de mots) qui traînent, délaissés par un relecteur qui devait avoir un œil sur le livre et l’autre sur son écran de télévision. Dommage aussi que l’auteur n’ait pas surveillé avec la même attention ses écrits que ses comptes…

Philippe Durant

Didier Courtois Duverger, un siècle de financement du cinéma, la Saga Natixis Coficiné, préface de Pierre Lescure et de Laurent Mignon, Le cherche midi, juillet 2021, 343 pages, 19 eur

Laisser un commentaire