HS 7244, enlevé, séquestré, torturé

Alors qu’ils sont en vacances en Russie, Marius et Camille disparaissent soudain au soir d’une excursion à Grosny en Tchétchénie. Et Marius se réveille seul, dans une sorte de camp d’internement, aux mains de tortionnaires cruels et d’un médecin pervers qui tente sur lui et les nombreux autres prisonniers des expériences pour le soigner. Mais de quoi ? Et comment ce digne héritier de Mengele a-t-il obtenu tous ces moyens ? HS 7244, matricule sous lequel disparaît Marius dorénavant, est le premier roman de Lorraine Letournel Laloue, qui nous plonge dans une ambiance oppressante et inhumaine.

vous qui entrez ici, perdez toute espérance

Comment rendre compte de l’horreur d’un univers carcéral particulièrement barbare qui s’acharne sur des hommes considérés comme terroristes mais qui ignorent totalement les raisons de leur présence ? Comment faire comprendre l’invivable et l’inhumain ? Enlevés et entassés dans un lieu qui ne semble rien avoir de légal, des hommes vont subir les humiliations, les sévices, les tortures les plus cruelles, livrés qu’ils sont aux mains de gardiens sadiques. Si les gardiens semblent avoir droit de vie et de mort sur eux, être appelé chez le médecin n’est pas forcément une bonne nouvelle… seule les limites de son imagination borne sa cruauté et l’insupportable des expériences qu’il mène.

Marius va devoir apprendre à ne plus être un homme, à ne plus frémir quand ses camarades seront brimés ou tués devant lui. A ne plus trembler quand les cris se font plus douloureux. C’est à travers ses yeux que le lecteur découvre l’horreur, et si la maladie n’est jamais citée, on la devine. Ce qui rend cet enfer d’autant plus sombre. L’incompréhension (légitime) de Marius alourdit le sentiment du lecteur, et le dévoilement du mystère pèsera d’autant plus.

Un vague espoir est né, au milieu de cet enfer, quand le médecin reçoit la visite d’un de ses supérieurs. Il n’est donc pas le maître absolu ! Mais, en même temps, il ne s’agit plus de la seule cruauté d’un homme mais d’un véritable système.

Lorraine Letournel Laloue montre avec HS 7244 tout ce que peut un polar engagé et plein de cette intime conviction qu’il peut porter la parole des victimes. Pour un premier roman, elle frappe fort !

Loïc Di Stefano

Lorraine Letournel Laloue, HS 7244, Belfond, juin 2019, 285 pages, 18 eur

La maladie ?

Le souci vient d’un jeu d’écriture essentiellement basé sur l’ambiguïté du prénom de « la moitié » de Marius, Camille. Prénom épicène, qui peut être porté aussi bien par un garçon qu’une fille. Mais on sent que l’auteur tourne autour en multipliant les manières de ne pas dire, et donc on comprend très vite que la « maladie » dont les geôliers veulent le guérir est l’homosexualité. Cela n’enlève rien à l’horreur de la situation, mais évente un peu le suspens… On continue donc la lecture en appréciant l’ambiance et, malgré quelques lourdeurs d’expression, HS 7244 tient vraiment bien la distance.

Les faits réels

Comme Lorraine Letournel Laloue le signale elle-même à la fine son roman, cette histoire est basée sur une dénonciation de 2017 par des victimes d’enlèvement et de tortures dans une prison tchétchène. Toutes ces victimes étaient homosexuelles, et le scandale qui s’ensuivit atteignit jusqu’à l’ONU. On admirera la souplesse du voisin et protecteur russe, par la voie de son chef suprême Vladimir Poutine, à qui l’on doit cette admirable dénégation : « ceci n’est pas possible puisqu’il n’y a pas de gays chez lui ». CQFD

Quant au titre, bien qu’il s’agisse d’un matricule alpha numérique, je prends le pari qu’il a un sens particulier pour l’auteur. Car Lorraine Letournel Laloue est sarthoise, département 72. Reste à identifier le HS (hors service ?) et le 44…

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