L’Empereur blanc, Armelle Carbonel impose de nouvelles règles du jeu au roman noir

Arkansas, juin 1965. Ils se sont réfugiés dans une maison isolée, comme au bout du monde. Lui, l’écrivain noir, journaliste engagé. Elle, qui risque sa vie simplement parce qu’elle l’aime, qu’elle est sa femme, blanche. Il écrit ses mémoire, dans l’urgence d’une nuit d’effroi, le Klan à ses trousses… De nos jours. Cinq amis auteurs de romans policier, voire d’épouvante, se retrouvent pour un séjour créatif, un moment de partage. Dans cette même maison que l’ont dit, à présent, hantée. Ainsi s’ouvre L’Empereur blanc, où Armelle Carbonel met tout de son immense talent et de son personnage fétiche : une demeure à elle seule angoissante.

L’histoire d’une maison

Toutes ces interactions étranges semblaient reliées par un dénominateur commun : la maison.

L’histoire de L’Empereur blanc se passe à Crescent House, dans le bien nommé village de Devil Town. Une longue série d’incidents inexplicables est attachée à cette maison, les malédictions suivent naturellement. A l’isolement absolu se joint un temps exécrable, tout ce qu’il faut pour faire grincer cette vieille bâtisse récemment acquise par Anton. Il a invité ses amis, Rachel, Sue, Steven, Dan. Chacun venu dans l’espoir d’un bon moment entre amis et pour trouver l’inspiration !

Mais rien ne va se passer comme prévu. Et si l’ambiance de la maison est assez particulière, ce sont les disparitions — et les apparitions… — qui vont créer l’oppression, le doute, les peurs. D’autant que la région vient de subir un quintuple crime : une famille entière vient d’être massacrée.

Et si ceux qui manient l’art de « distiller la peur auprès de [leurs] lecteurs » étaient à leur tour pris dans un piège diabolique ? Dont même leur métier et leur habitude des manipulations ne pourraient pas les sauver ? Car celui qui semble tirer les ficelles, c’est le mystérieux Empereur blanc.

un crime raciste

L’histoire des cinq auteurs alterne avec le récit des derniers moments de la famille Ellison, réfugiée dans la maison et attendant l’assaut des hommes du Klan. Leur crime ? S’aimer, et surtout que lui soit noir. C’est une substance romanesque forte, mainte fois employée, le Sud des Etats-Unis et la ségrégation. Mais Armelle Carbonel s’en saisit non pas pour seulement dénoncer — et ben sûr qu’elle le fait — mais pour ancrer une part de son intrigue dans la vie même de la maison.

Les lieux ont une âme. Celle de Crescent House est torturée. Certains disent maudite, mais si elle reste à l’abandon et résiste aussi bien aux intempéries, aux incendies et aux années, c’est d’abord parce qu’elle doit témoigner. A l’inverse des croix enflammées qui ont un moment illuminé sa façade, cette maison se doit de porter la voix des victimes.

La mise en abîme du polar

Du roman dans le roman. Voilà à quoi s’amuse Armelle Carbonel. Outre les références (à Stephen King, mais pas que !), L’Empereur blanc fourmille de clins d’œil appuyés au genre même du thriller, à des auteurs, à des manies, et aussi aux lecteurs qui vont être une part non négligeable de la résolution de l’énigme. Les lecteurs de romans noirs dans la trame narrative d’un roman noir mettant en scène des auteurs de romans noirs…

On peut lire L’Empereur blanc sans rien connaître d’Armelle Carbonel. Mais sinon, on jouit encore plus des propos cachés, des allusions… Et quand un personnage donne le conseil de ne pas tuer trop vite ses propres personnages mais qu’Armelle Carbonel en fait disparaître un dans les tous premiers chapitres…

L’Empereur blanc est un très grand roman, qui empoigne et désarçonne. Tout est parfaitement en place pour leurrer le lecteur, le faire s’enfoncer dans les méandres de Crescent House et y perdre la raison. Jusqu’à la fin, magistrale. Armelle Carbonel est une maîtresse de maison hors normes !

Loïc Di Stefano

Armelle Carbonel, L’Empereur blanc, Mazarine, mars 2021, 407 pages, 19 eur

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