Quand Molly Bloom trahit la vertueuse Pénélope…

Folio-Gallimard vient de publier un petit volume titré Pénélope, écrit par un certain James Joyce et traduit par Tiphaine Samoyault. Serait-ce un inédit oublié du dit Joyce retrouvé dans on ne sait quelle soupente ? Céline nous a bien fait le coup avec son roman Guerre

Un petit coup commercial

Que nenni ! Il s’agit tout simplement du dernier chapitre de la monumentale traduction d’Ulysse parue en 2004, chez Gallimard toujours. Pourquoi donc ? L’argument est dans la préface comme dans la quatrième de couverture : Lire Ulysse dans son entièreté serait une odyssée périlleuse pour certains, rasante pour la plupart, tant et si bien que les plus grands lecteurs avouent parfois avoir quitté le navire assez vite… Dommage leur dit l’éditeur : la fin du voyage, c’est le meilleur. Sachant que Joyce a mis sept ans à écrire et réécrire ce chapitre, comptant le nombre de mots de chacune des trois phrases (pas une de plus) qui composent le texte entier : la première comporte 2500 mots.

L’éditeur semble suggérer : ne vous embêtez pas à lire ce livre assommant, passez directement au morceau de choix, si je puis dire… Ce qui promet de belles ventes. Normal : la tactique ici est totalement commerciale.

Pauvre Joyce, qui eut tant de mal à faire publier son chef d’œuvre d’un millier de pages en entier…

Une obsession sexuelle autant que textuelle

Un joli coup ? Pensez donc, on entre dans le monologue intérieur d’une femme qui ne pense qu’au sexe ! La préfacière, une femme pourtant, Laura El Makki, soutient que c’est la première fois qu’un homme se glissa dans l’intimité féminine, si je puis dire, nous en révélant sa nature… Pourtant elle devrait en savoir quelque chose ! Il me semble plutôt que la pauvre Molly Bloom rêvant de juter, conner et déconner avec l’humanité entière (pour parler comme Joyce), me semble plutôt représenter le fantasme d’un obsédé sexuel autant que textuel, à savoir Joyce lui-même, tel qu’il apparait dans ses lettres d’amour à Nora. Voici un court extrait de ses dirty letters écrites entre 1904 et 1909 et publiées en 2012 seulement, parce que trop incandescentes : « Ma bite est encore brûlante et raide et vibrante de la dernière poussée brutale qu’elle t’a donnée, que l’on entend s’élever les frêles accents d’un hymne d’adoration, tendre et pitoyable, adressé à toi, montant des sombres cloîtres de mon cœur. » (Lettres à Nora, page 131). À comparer avec les divagations phallocratiques d’une Molly Bloom plutôt envieuse :

« Ce que c’est que d’en avoir une, oui quand j’ai allumé la lampe parce qu’il avait dû jouir 3 ou 4 fois avec son machin sidérant gros rouge bestial qu’il a je me demandais si la veine ou le comment on dit putain allait exploser » (Pénélope, page 33).

Sans doute ces lettres à Nora ont-elles servi de premier matériau à l’écriture de Pénélope ?

Mathias Lair

James Joyce, Pénélope, préface de Laura El Makki, traduit de l’anglais par Tiphaine Samoyault et Jacques Aubert, Gallimard Folio, septembre 2024, 128 pages, 3 euros

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