De Gaulle et la Russie, la relation impossible

Un sujet polémique

Ancien élève de l’ENA, haut fonctionnaire et déjà auteur d’une biographie de Mustapha Kemal (Tallandier, 1989), de La guerre civile russe (Perrin, 2017), Alexandre Jevakhoff consacre ici un ouvrage à un aspect du parcours de Charles de Gaulle, son rapport à la Russie puis à l’URSS. Cela a déjà suscité bien des polémiques, songeons à l’ouvrage La France sous influence (Grasset, 1997) de Thierry Wolton où était décrit un Général antiaméricain et prêt à se rapprocher de Moscou à tous les moments. Qu’en est-il ?

A la recherche de l’alliance russe ?

Né en 1890, Charles de Gaulle fait partie de cette génération pour qui l’alliance avec la Russie tsariste avait sorti la France de son isolement. Formé par son père, un brillant professeur, le jeune Charles voyait dans cette alliance un reflet de ce qu’avait tenté François Ier avec Soliman le magnifique, une alliance de revers idéale… Mais la grande Guerre a brisé cette image, la Russie sombrant dans la Révolution. Anticommuniste de choc, de Gaulle a cherché à un moment à remplacer la Russie par la Pologne où il forme des militaires en 1919-1920 : le pays ne lui fait pas une bonne impression. Persuadé que l’Allemagne nazie va déclencher une nouvelle guerre, de Gaulle fait partie de ces hommes de droite qui n’ont pas peur d’un pacte avec Staline qu’il appelle de tous ses vœux. Au final, c’est Hitler que choisit le dictateur rouge.

Les chemins compliqués de Moscou

Barbarossa met fin au pacte germano-soviétique et de Gaulle loue la résistance soviétique. Il cherche à se rapprocher de Moscou, surtout en cas d’orages avec Churchill. Mais que pèse de Gaulle face à Staline ? Rien ou presque. Pour autant, Staline va l’utiliser, parfois pour semer la zizanie dans le camp allié. De Gaulle part à Moscou fin 1944 pour négocier. Staline va l’utiliser pour conforter sa stratégie polonaise et obtenir de lui la reconnaissance du comité de Lublin. De Gaulle autorise du bout des lèvres une représentation, conclue un pacte… et à Yalta la France n’est pas conviée. Pour les choses sérieuses, Staline négocie avec Churchill (qui obtient le siège de la France au conseil de sécurité ainsi qu’une zone d’occupation en Allemagne) et Roosevelt. De Gaulle a réussi à calmer le PCF en France et à le désarmer mais Staline de toute façon avait fait son deuil d’une Révolution rouge à Paris. Il méprisait la France, qu’il accusait de ne pas s’être battue en 1940, et de Gaulle. Pour autant, ce dernier apprit beaucoup lors de ce séjour.

Le contrepoids aux États-Unis

De Gaulle va chercher la Grandeur pour la France toute sa vie ; revenu au pouvoir en 1958, il cherche à construire une place pour la France entre Washington et Moscou, veut un directoire de l’OTAN avec Londres et Moscou : les Américains ne l’écoutent pas. Alors, après 1962 et la crise des missiles de Cuba, il cherche le rapprochement avec Moscou, croit que la détente peut aider la France à prendre la tête d’une Europe de l’Ouest qui tendrait la main à l’Est. Moscou fait miroiter des avantages économiques et du commerce, soutient le procédé SECAM de colorisation, soit… Mais lorsqu’il s’agit de régler des crises internationales, l’URSS négocie avec les USA et ne s’occupe pas de l’avis de la France. De Gaulle a toujours cherché un contrepoids en négociant avec Moscou pour mieux peser face aux américains (ceux-ci ont constamment rabaissé la France et cherché sa chute : lisez L’ami Américain d’Éric Branca), souvent en vain. Il terminera son deuxième mandat en renouvelant le pacte Atlantique, les Etats-Unis de Nixon redevenant un partenaire attractif. Le problème gaullien est simple : il voyait la Russie derrière l’URSS, la nation derrière l’idéologie. Sur le long terme, il avait raison mais dans les années 60, ses interlocuteurs étaient tous de fervents communistes. Ce livre éclairant permet de réévaluer la diplomatie gaullienne. Recommandé.

Sylvain Bonnet

Alexandre Jevakhoff, De Gaulle et la Russie, Perrin, février 2022, 544 pages, 26 euros

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