Le Dernier souffle, accompagner la fin de vie
Fort d’une expérience de plus de 20 ans en Unité de Soins Palliatifs, Claude Grange témoigne dans Le Dernier souffle, accompagner la fin de vie sur la « gestion » de la fin de vie en France.
« Le vrai message, c’est celui-là : resocialiser la mort. »
La médecine en France est consacrée essentiellement à soigner les malades et à ls maintenir en vie le plus longtemps possible. Comme s’il fallait repousser le plus loin possible la mort, comme si elle n’était pas partie intégrante de la vie même. D’ailleurs, la société occidentale repousse loin de la ville les vieux et les morts, contrairement aux sociétés traditionnelles et notamment africaines où les anciens sont respectés et vivent chez eux jusqu’à leur mort.
En France, les malades sont « aux mains » des médecins et des familles qui veulent, pour leur bien, les maintenir coûte que coûte à l’hôpital alors que la plupart des patients n’attendent qu’une chose : mourir tranquillement chez soi. Si le code de déontologie a évolué, visant passer le patient d’objet à sujet, la médecine en elle-même reste très directive, la maladie compte presque seul, comme chez Diafoirus…
Pour Claude Grange, « une société se jugerait presque à la place qu’elle accorde à ses morts ». La nôtre serait bien malade et fautive : les morts sont rejetés loin des vivants, les cimetières à l’écart des villes, les mourants enfermés loin de chez eux. La mort a été chassée (1) si bien qu’on en a maintenant peur alors qu’on devrait apprendre à s’y préparer. La mort bouleverse parce qu’elle est l’inconnu de nos vies, apprendre à la connaître, et l’accepter, permet une fin de vie apaisée.
Un guide pédagogique
Nourri d’une véritable science de l’accompagnement, forgée sur le terrain et contre sa formation initiale, Le Dernier souffle, accompagner la fin de vie est un vrai réconfort, malgré le sujet difficile. Les exemples y abondent et chacun est présenté avec assez de simplicité pour qu’il soit accessible à tous. La médecine ici n’est pas un domaine réservé à l’abscons charabia de l’élite, mais est une œuvre de bienfait humain.
A l’aube de nouveaux débats sur l’accompagnement de la fin de vie, des modifications possibles de la loi Leonetti de 2005, on ne peut qu’espérer que l’expérience et l’empathie d’un praticien comme Claude Grange pourra être pris en considération.
Régis Debray est à l’origine des discussions qui ont servi à nourrir le récit de Claude Grange. Sa préface lui rend hommage, et sa postface vient ajouter quelques obscurcissements conceptuels qui tranchent avec la limpidité du texte central. Le Dernier souffle, accompagner la fin de vie est un témoignage important et d’une belle simplicité, qui ne cache rien des déficits dans le système actuel — y compris les siens propres, encore, malgré l’expérience, mais le poids de la formation est conséquent. Car la médecine de fin de vie doit être simple, elle-même, malgré toute la technicité chimique et psychologique qu’il faut pour atténuer les souffrances des corps et des esprits (parfois des âmes). Le maître-mot doit être le seul bienêtre du patient et qu’on lui garantisse écoute, accompagnement, présence. Que ses choix personnels soient toujours la priorité et qu’il reste au coeur des préoccupations de ceux qui sont dévoués pour rendre ses derniers moments les plus heureux possibles. En un sens, la médecine de fin de vie est un soin de l’âme, nécessaire est beau, dont Claude Grange donne un magnifique témoignage dans son récit.
Loïc Di Stefano
Claude Grange, Le Dernier souffle, accompagner la fin de vie, préface et postface de Régis Debray, Gallimard, « folio », septembre 2024, 122 pages, 7,40 euros
(1) Il n’y a plus de convoi funéraire de la maison du défunt au cimetière, les chambres funéraires sont loin et aseptisées, on ne peut plus — sauf exception, Giscard d’étain, Alain Delon… — être enterré chez soi ou être dispersé au vent ou sur ses pleurs préférées… Notre post-mortem ne nous appartient plus.