Un autre Eden, la corruption du monde
James Lee Burke est impressionnant. Octogénaire, il publie pratiquement un roman par an, soit une enquête de son personnage fétiche, le policier cajun Dave Robicheaux, soit un roman consacré à un des membres de la famille Holland. Dans Un autre Eden, il reprend le personnage des Jaloux, Aaron Holland Broussard, pour qui les choses se sont compliquées :
La face sombre de l’Amérique
« Il y a bien des années, vagabonder à travers l’Ouest américain promettait un sacré spectacle. Courir le long d’un wagon couvert, le cœur battant la chamade, balancer votre sac de marin et votre guitare à l’intérieur et sauter pour les rejoindre puis, deux heures après, dévaler la ligne continentale de partage des eaux, la tête étourdie par le manque d’oxygène, tandis que des grizzlys bondissaient le long des wagons de céréales. »
Nous sommes au début des années soixante. Jeune homme un peu perturbé, vétéran de la guerre de Corée, Aaron Holland Broussard voyage sur les rails, trouvant du travail ici et là, en attendant qu’un de ses romans soit publié. Il descend dans la petite ville de Trinidad dans le Colorado et trouve du travail dans la ferme de monsieur Lowry, un homme qu’il respecte d’emblée. Aaron rencontre aussi une jeune étudiante, Jo Anne Duffy, peintre talentueuse : ils tombent amoureux. Mais Jo Anne est liée à Henri, son professeur, un manipulateur qui lui doit beaucoup d’argent et qui traîne avec une bande de beatniks drogués. Aaron se met aussi à dos un homme d’affaires du coin, Vickers, qui a un fils, Darrel, plutôt violent. C’est le moment où la drogue devient grand public aux Etats-Unis, corrompant la société. Et ce petit coin paradisiaque du Colorado a aussi sa part d’ombre…
Un tour de force
Un autre Eden est presque un roman biblique car la métaphore autour du jardin d’Eden est éclatante, le mal et le serpent n’est jamais loin. Et les jeunes se droguent, détruisant leur vie sous le regard d’adultes qui en profitent. Aaron, qui se reproche la mort de son meilleur ami, Saber, en Corée, est très perturbé psychologiquement. Il voit des choses que personne d’autre ne voit, la réalité semble parfois se dérober… Et le lecteur se demande s’il n’est pas fou. Qu’importe car Burke sait parler de ce monde disparu avec le talent d’un vrai conteur. Et il ne nous lasse jamais.
Sylvain Bonnet
James Lee Burke, Un autre Eden, traduit de l’anglais par Christophe Mercier, Rivages, juin 2024, 384 pages, 22 euros