La Cavale du babouin de Denis Langlois

Il y a plus de vingt ans, Denis Langlois proposa à son éditeur d’alors de publier un livre titré La Mort du héros qui aurait eu pour sujet les dernières semaines de la vie de trois personnages : Jésus, le Che… et un babouin. On devine la réaction de l’éditeur. Pourtant, ce n’était pas n’importe quel babouin, mais celui qui fut abattu par des policiers froussards le 30 août 1995, dans le village de Monnerville (8,3 km², 387 habitants), dans l’Essonne. 

Vingt ans après

Vingt cinq ans plus tard, Denis Langlois retourne à Monnerville pour y glaner des témoignages… et l’écriture s’enclenche, il rédige La Cavale du babouin,  dans un style gouailleur, fort agréable, où il s’adresse en le tutoyant au camarade babouin. Nos chers  policiers n’y font pas bonne figure. C’est que notre auteur les a fréquenté jeune, au temps où il fut objecteur de conscience, il ne semble pas en avoir gardé un bon souvenir. Est-ce ce qui l’a amené à publier en 1974, aux éditions du Seuil, « Les dossiers noirs de la police française ? » 

Denis Langlois n’a pas tout à fait renoncé à son premier projet : au fil des pages on y voit défiler Jésus, en contrepoint… Comme Jésus, le babouin va de village en village. Parce que, comme lui, il est trop étranger, inhabituel, différent, il provoque la peur. Donc on le juge agressif, dangereux… Il sera donc exécuté… Rares sont les humains à avoir été assez humains pour approcher le singe et le juger sympathique : il y en a eu ! 

Peut-on soutenir que ce livre est une manière de parabole décrivant le sort des enfants obstinés, comme dit la chanson ? Obstinés à vouloir un autre monde que celui où nous sommes établis ? Obstinés à désirer la paix, et un peu d’humanité ? Denis Langlois, vieux militant, l’avoue en première page du livre :

Tu vas te ridiculiser. On va croire que c’est ta vie que tu racontes.

Ce babouin est une figure emblématique de l’innocence enfantine. Une figure de l’innocence de ces militants qui n’ont pas renoncé à leurs rêves d’enfance où le monde était beau, et bon ? 

Gare au babouin !

Le 31 juillet 1995, le babouin est aperçu pour la première fois dans un jardin, à Lardy. On appelle la police, un employé du zoo de Saint-Vrain nommé Dany intervient. Il n’a pas de cartouche hypodermique mais du gros plomb… il le touche à la cuisse, le babouin ne demande pas son reste. Pendant un mois il va battre la campagne de la Beauce. Il est vu et revu, il devient célèbre. La presse relate le témoignage d’un homme qui l’a vu attaquer un chevreuil pour le manger ! Il grandit dans l’imagination ambiante, et acquiert de belles proportions : une femme porte plainte pour viol, le babouin a abusé d’elle alors qu’elle dormait dans son lit, la fenêtre ouverte… Sans doute la chanson de Brassens l’avait-elle inspirée… Par contre, si elle avait su que chez les babouins l’acte sexuel ne dure que sept à huit secondes, ses fantasmes auraient été douchés ! 

C’est auréolé de cette aura médiatique que notre babouin apparaît dans le village de Monnerville, salué par les cris des villageois :

« Le singe de la télé ! Le singe de la télé ! »

Dix gendarmes dirigés par un chef d’escadron entourent la maison où il s’est réfugié. Le capitaine Lécarlé l’abat de plusieurs balles. Certains habitants protestent :

« C’est du massacre ! Vous pouviez l’endormir ! Il était coincé ! »

Craignant un mouvement de foule, nos gendarmes partent vite, emportant le cadavre. 

Une fête de la mémoire à Monnerville

Lorsqu’il est revenu à Monnerville, vingt cinq ans après, notre auteur a recueilli des témoignages de cette contestation. Des habitants sont encore choqués de la conduite de la maréchaussée. Il retrouve le lieu du crime : sur le mur de la maison, dix impacts de balle de pistolet sont toujours visibles… 

Mathias Lair

Denis Langlois, La Cavale du babouin, éditions La Déviation, août 2024, 176 pages, 14 euros

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