Le bec de la mésange, poèmes d’Arnoldo Feuer
Après Dans ma cabane à pattes de poule chez Les Lieux-Dits, De part et d’autre à L’herbe qui tremble (prix Verlaine), on retrouve Arnoldo Feuer avec Le bec de la mésange. On retrouve son intelligence, et son refus de toute religiosité poétique : en voilà un qui ne se laisse pas conter !
Il ne fait pas que s’exclamer, que dépeindre ses ressentis : il pense ! D’où son dégagement vis-à-vis des grandes et tristes humeurs, d’où une légèreté qu’il regrette parfois :
Es-tu en meilleure condition
T’efforçant à une légèreté
Qui ne trompe que toi
Plus précisément, il médite au jour le jour. Voilà dans quoi il nous embarque dans ses poèmes.
Une poésie d’ici

Arnoldo Feuer refuse l’obstination poétique des « poétisants » malgré tout, adeptes de la beauté lyrique, célébrant la fleur en oubliant sur quel fumier elle pousse. Sous un autre nom dont on ne saura rien, il a parcouru le monde, il a vu comme l’humain court à sa perte : Thanatos règne. Il a pris « sa part dans le carrousel dramatique du monde », qu’il a évoqué dans son recueil Retour à Znamenskoye. Il en est revenu, c’est déjà ça… Sur un fond passé de « lueurs de kalachnikov », Arnoldo Feuer jouit désormais de la tiédeur du soir. Peut-on s’étonner qu’il ait du mal à voir, comme il le suggère ? Qu’il se demande à quoi bon la poésie ? Pourtant il ne renonce pas : « l’hospitalité aux choses » est sa méthode, au jour le jour une simple étincelle…
Il n’est plus contre, ni pour, mais ailleurs… c’est-à-dire ici. Il cherche simplement à être ouvert à la présence des choses… dans l’attente de « la prise de possession poétique », dit-il. Pour « porter des insignifiances à la lumière ». Voilà à quoi il se trouve rendu, sa poésie aussi : à l’os.
Tu peux aussi parler
Du ratissage des feuilles
Et de l’herbe à nouveau intacts
On y trouve aussi bien qu’ailleurs
La matière du poème
Arnoldo Feuer use des métaphores avec circonspection, on l’a dit il refuse les fioritures poétiques. Pourtant il lui arrive de déménager (si l’on se rappelle avec lui que l’étymologie de métaphore, c’est « porter ailleurs ») : transportant la poésie dans le cosmos, il aimerait proclamer un jour son manifeste du trou noir. Là où la poésie advient de disparaître…
Tire le fil
Du seul mystère qui
Se laisse dévider
Sans rien révéler d’autre
Que des couleurs
Une mystique athée
Pour tenter d’y parvenir, il s’astreint à « ne parler que de l’instant présent » ; à oublier son traumatisme : un passé chargé de trop de guerres. Bien que survivant, le poète a subi un grand nettoyage, ne reste qu’une lucidité ravageuse : « je n’ai même pas foi en moi », écrit-il. Il lui reste, n’étant plus candide, à cultiver son jardin : celui de sa maison à la campagne, celui de la poésie… à rester à l’affut des « micro-séismes », ceux qui qui révèlent le réel.
Il y a quelque chose de mystique chez ce poète. Il vit dans l’attente d’extases légères, de celles qui sont sans dieu ni maître, où je verrais bien pour ma part l’essence de la poésie. Des extases du quotidien, dont celle qui a donné le titre à ce recueil, suite à l’intervention d’une mésange. On sait que dans le bouddhisme zen, le maître a coutume de frapper son élève par surprise afin de l’ouvrir à l’éveil, un oiseau a joué ce rôle pour Arnoldo Feuer. Dans son jardin, une mésange s’est empêtrée dans un filet qu’il a tendu au-dessus d’un bassin afin de protéger ses poissons rouges :
Vite la délivrer !
Ta main est mal reçue
Par un bec puissant
L’index pincé saigne
Il termine néanmoins son sauvetage
Et ffrrrtt !
L’oiseau te signifie de commencer
Un nouveau livre
Un nouveau livre ? Voilà qui est fait !
Mathias Lair
Arnoldo Feuer, Le bec de la mésange, éditions L’herbe qui tremble, avril 2025, 162 pages, 18 euros